Quinze jours après le premier coup de feu, l’armée française libère la ville sainte au terme d’une chevauchée fantastique
A partir de Niafunké, la piste devient droite. Devant nous, Tombouctou, la ville mythique aux 333 saints, devenue, depuis dix mois, le repaire des djihadistes. Derrière, un convoi de
160 engins militaires qui s’étale sur une demi-douzaine de kilomètres. Chars, batteries de mortiers de 120 mm, camions chargés d’obus, VAB (véhicules de l’avant blindés), porte-chars et Jeep se suivent dans la poussière depuis Bamako. Un raid de 1 000 kilomètres. Une armée en campagne qui ressemble à la percée de la division Daguet, en Irak, en 1991, pendant la guerre du Golfe. Sur la piste, les camions-citernes s’ensablent. Surtout le semi-remorque de 50 tonnes qui creuse les ornières. La colonne avance à 15 km/h mais, inexorablement, nous nous rapprochons du but.
Dans chaque village, une foule misérable, en délire, est massée le long de la route. « Mali, Mali. Vive la France. Hollende », est-il écrit sur une banderole. « C’est ici qu’ils nous jugeaient si, à leurs yeux, notre comportement était “haram” (péché), me dit un villageois devant la porte de l’ancien centre de la Croix-Rouge, transformé en commissariat de la police islamique. Ils se croyaient en terrain conquis. C’étaient les maîtres. Il était même interdit de jouer au ballon. Je n’ai pas pu voir quand le Mali a gagné son premier match lors de la Coupe d’Afrique des nations, car la télévision aussi était prohibée. »
Partout, tout ce qui rappelle l’ordre ou l’Etat malien a été effacé. Les mots « mairie » ou « école » n’ornent plus les façades. La plupart des établissements étaient fermés car on y apprend le français, la langue du mécréant. Même les panneaux de signalisation ont été peints en noir ! Seul reste le mot « Aqmi » (Al-Qaïda au Maghreb islamique), écrit en arabe sur les murs. La foule n’ose pas entrer dans le bâtiment qui abritait la police religieuse. Le gardien non plus ne s’y aventure pas : « On a tellement été conditionnés qu’aujourd’hui on a encore peur comme s’“ils” étaient toujours là. » Tombouctou n’est qu’à 97 kilomètres mais le colonel Gèze, patron du 21e Rima, arrête la colonne sur l’aérodrome, à la sortie de la ville. Au bout de trois jours de piste pour contourner le bassin du fleuve Niger en longeant la Mauritanie, la ville sainte est enfin à portée de main. Combien de djihadistes sont encore en ville ? Débarque d’un hélicoptère le général Barrera, le chef de la 3e brigade mécanisée de Clermont-Ferrand, qui commande au Mali les forces françaises. Attendre, c’est prendre le risque de voir des massacres dans la ville sainte. Mais accélérer les choses, c’est en prendre d’autres. Avancer. Vite.
Sur la porte de la ville, les djihadistes ont écrit : « Porte de la charia »
A Paris, François Hollande a tranché. A 16 heures, nous nous mettons en route. L’objectif est l’aéroport de Tombouctou, fermé depuis dix mois. On sait par des photos aériennes que les djihadistes ont placé un vieil Antonov en travers de la piste ; dessus, ils ont érigé des merlons. Une fois reconquis, le terrain d’aviation deviendra la base d’appui pour prendre la ville. Sur la piste en tôle ondulée, les rames de blindés montent en trombe. « Avec la pluie, rare à cette époque, la poussière a disparu. La pluie en janvier, c’est le bonheur », me disent les soldats maliens. Pas pour les chars et les transports de troupes, qui s’embourbent en approchant de l’aéroport. Dans la nuit, les pick-up maliens se perdent, et nous avec. Les hommes coupent à la pince le grillage qui ferme le périmètre. Nous débouchons sur la piste sans savoir où se trouvent les bâtiments. Personne ne pense aux mines qui pourraient avoir été posées par les djihadistes. Dans le ciel, des hélicoptères et des Rafale tournent au-dessus de nous, prêts à intervenir. Ils sont guidés par un Awacs bourré d’électronique et un drone, un avion sans pilote, qui retransmet des images infrarouges au PC. A 22 heures, nous déboulons par le taxiway, sous les mêmes regards qui accueillaient jadis les touristes. Les Maliens se tapent dans les mains. Arrivent les premiers blindés français qui sont passés, eux, par l’entrée principale. A 23 heures, le bruit sourd d’avions à hélice trouble le silence de la ville. A 300 mètres au sol, cinq Transall, qui ont décollé d’Abidjan, larguent, 250 légionnaires du 2e Régiment étranger parachutiste, le fameux 2e Rep, basé à Calvi, qui sauta jadis sur Kolwezi. Aujourd’hui, c’est sur Tombouctou que ce régiment d’élite conforte sa légende.
Chaque légionnaire, gilet pare-balles plaqué autour du sac, est chargé à 100 kilos. Chacun emporte un maximum de munitions et de grenades, de l’eau et un peu de nourriture. Les mitrailleuses 12.7 mm et cinq postes de missiles Milan, capables de détruire un pick-up à 2 000 mètres, ont été largués en premier. Dans un des premiers sticks, le patron du Rep, le colonel Benoît Demeulles, a aussi plongé dans le vide. Au Rep, le chef se doit de sauter en même temps que ses légionnaires. Avec lui, des commandos et des démineurs du 17e RGP, deux groupes de quatre « tacpi » chargés de guider le tir des avions sur leur objectif. Le danger, pour les parachutistes, est d’être découverts avant de toucher terre. Ou bien de tomber sur un acacia, cet arbre du désert qui peut casser une jambe. Mais tous atterrissent en douceur, plient leur parachute en silence et, comme des félins, se glissent dans l’obscurité devant les quartiers Nord. C’est de là que partent les pistes vers la frontière algérienne, où se situe la base des djihadistes.
Du ciel, le drone repère plusieurs véhicules qui s’enfuient dans les dunes. Faute d’identification précise, l’ordre de tir n’est pas donné, même si l’on sait que les djihadistes ont démonté les canons des plateformes de leurs pick-up pour leur donner l’apparence de véhicules civils. A minuit, la nasse est bouclée et le padre, le père Venard, l’un des cinq aumôniers militaires brevetés parachutistes, est heureux. « Abouna », comme il est écrit en arabe sur son treillis de camouflage, signifie que Dieu est son père. Pour rien au monde il n’aurait manqué cette opération. Faute de véhicule militaire disponible, il a suivi la colonne en pick-up de location. Il n’a pas célébré la messe, aujourd’hui dimanche, pour la prise de Tombouctou. « Dieu me le pardonnera », me dit en souriant ce grand gaillard...