BONJOURA cette époque ..........moi aussi je me trouvais au G.O.L.EQUE SES BRAVES REPOSENT EN PAIX
Objet : A tous les oubliés
Posté le mercredi 13 novembre 2019
24 mai 1976. 7 heures du matin. Je suis avec le commandant Guignon et son radio à côté du pas de tir de Holl-Holl, Territoire de Djibouti. Nous sommes là depuis le 05 février. Nous étions en alerte Guépard à Bonifacio quand un car d’enfants a été pris en otage à Loyada, à la frontière Somalienne. Le Groupement Opérationnel du 2e Étranger est parti renforcer le dispositif local, à la demande du général commandant les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDJ). L’affaire a été réglée par les gendarmes tireurs d’élite du lieutenant Prouteau, la compagnie du 2e REP du capitaine Soubirou et l’escadron de la 13e DBLE.
Depuis, sous l’impulsion de notre prestigieux et infatigable chef, en plus des missions de routine au barrage et à la frontière somalienne, nous nous entrainons jour et nuit grâce aux moyens mis à notre disposition par le 3e bureau de l’état-major de Djibouti (bureau opérations des FFDJ - NDLR).
Ce matin-là, nous effectuons un nouvel exercice à tir réel, avec héliportage. La première rotation s’est faite sans problème. Nous attendons la seconde rotation, qui tarde un peu. Mu par un pressentiment, le commandant Guignon se retourne. Une colonne de fumée s’élève en direction d’où devaient arriver les trois Puma. Un hélico est monté très haut, au-dessus de cette colonne de fumée. Le commandant Guignon comprend immédiatement : un hélico s’est crashé. Nous grimpons sur la piste conduisant au poste de Hol-Holl. Nous entendons des explosions. Nous voyons arriver une jeep. A son bord, le colonel Brette commandant le 2e REP et trois passagers. Le commandant Guignon leur explique ce qui se passe. Nous nous serrons dans la jeep, fonçons au poste. Le chef de corps du REP est venu en Alouette. J’embarque avec le commandant Guignon et le colonel Brette.
Nous survolons les lieux de l’accident. Il ne reste rien du Puma. Un corps est allongé à côté des débris. Nous nous posons. Dans les cendres, des corps mutilés et à demi calcinés. Il y a quatre survivants, trois gravement brûlés, et un couvert de plaies. Douze morts, dont les trois membres de l’équipage. Parmi eux le sergent-chef Zolic, un athlète de haut niveau. Un des survivants décédera un mois plus tard à Percy.
Après un vol normal pour se porter depuis Arta sur les lieux de l’exercice, les Puma devaient faire un vol tactique de quelques kilomètres dans un oued menant au pas de tir. L’enquête montrera que la portance de l’air n’était plus suffisante au fond de l’oued à cette heure pourtant matinale. Nous sommes en mai. La saison chaude a commencé. Le rotor arrière du Puma a touché une touffe de kékés. Il s’est crashé.
A bord, un légionnaire sent qu’il se passe quelque chose d’anormal. Il se détache et saute. Il atterrit dans les kékés. Il s’en arrache. Le Puma a pris feu. Il se précipite, sort un camarade, puis un autre et un troisième. Il veut sauver le radio, gravement blessé. Il dira : « C’était lui, ou nous deux ». Ce légionnaire était le plus mal noté du bataillon. Indiscipliné, pas toujours très net, parfois agressif, il cumulait les jours d’arrêt. Il a eu droit à une lettre de félicitations L’époque était sobre.
Il a sauvé trois vies.
Ces treize morts ne figurent pas sur le monument inauguré ce 11 novembre à Paris pour honorer la mémoire des soldats morts en OPEX.
Que faisaient-ils à Djibouti, ces légionnaires? Étaient-ils affectés là? Étaient-ils en séjour, en compagnie tournante? Pas du tout. Ils avaient été envoyés sur ce lointain territoire sur ordre du président de la République, en intervention opérationnelle, à cause d’un événement dont le dénouement s’est soldé par de nombreux morts et blessés et a valu à certains des titres de guerre amplement mérités. Ils avaient laissé à Bonifacio, Corte et Orange leurs familles et leurs amis, comme l’ont fait tous ceux qui, aujourd’hui, en ayant été le plus souvent mieux équipés et mieux préparés, figurent sur ce monument. Eux l’ont fait dans la précipitation d’une alerte Guépard.
Ils sont, avec d’autres sans doute, les oubliés de ce moment où la nation honore ceux qui sont morts pour elle aux confins des horizons lointains où le devoir les a appelés.
Leur monument est dans nos cœurs, qui en valent un autre.
Jean-Jacques NOIROT
Colonel (er)