"La Légion va très bien !" Un entretien avec le général de Saint-Chamas, commandant de la Légion étrangère, à l'occasion des cérémonies de Camerone.
Ce lundi 30 avril, la Légion étrangère célébrera Camerone, sa fête traditionnelle qui commémore le sacrifice de ses hommes, lors d'un combat au Mexique en 1863.
Les cérémonies de Camerone rendront, cette année, un hommage particulier à la bataille de Bir Hakeim, dont on fête le 70ème anniversaire.
Au cours de la cérémonie, à la maison-mère d'Aubagne, la main du capitaine Danjou sera portée par Hubert Germain, 91 ans, compagnon de la Libération, ancien ministre et ancien de la 13ème DBLE -
le dernier officier de Légion vivant à avoir participé à ce combat de la France libre.
Au cours de la cérémonie, le père Yannick Lallemand, aumônier de la Légion, sera promu au grade de Commandeur de la Légion d'honneur.
Le "Padre" est une figure des paras et de la Légion. Présent à Beyrouth lors de l'attentat contre le Drakkar (1983), il est aujourd'hui très actif dans l'aide aux blessés.
Enfin, le chef d'état-major des armées, l'amiral Edouard Guillaud sera fait "caporal d'honneur" de la Légion étrangère, une distinction exceptionnelle.
A l'occasion de Camerone, nous avons voulu faire le point sur la Légion actuelle, avec le "Père Légion", surnom traditionnel du général commandant la Légion étrangère (COM.LE), Christophe de Saint-Chamas.
Cet officier a notamment commandé le 1er REC et a fait un séjour de treize mois en Afghanistan avant d'arriver à Aubagne.
Comment se porte la Légion ? Très bien ! Son recrutement est excellent. La Légion attire et, au delà, c'est la France qui attire des hommes issus de 150 pays. Nous sommes un vecteur du rayonnement national.
D'ou viennent-ils ? De partout. Dans la dernière section de 50 hommes que nous venons d'intégrer, il y a une trentaine de nationalités. Historiquement,
le recrutement est lié aux crises politiques : il y a eu les Russes blancs, les Républicains espagnols, les Allemands après-guerre, l'Europe de l'Est après la chute du mur...
Aujourd'hui, environ un quart de notre recrutement s'effectue toujours dans l'Europe lointaine, à l'Est.
Mais nous avons désormais beaucoup d'Asiatiques (environ 10%). On vient chez nous de Chine ou de Mongolie.
Notre souci est de maintenir un équilibre pour que l'amalgame puisse s'opérer.
Internet est devenu un instrument essentiel : notre site de recrutement est en quinze langues.
Mais nous ne recrutons que sur le territoire métropolitain : il faut que le candidat vienne chez nous par ses propres moyens, ce qui constitue une première preuve de sa motivation à l'engagement.
Et les Français ? Les "Gaulois" - les Français - ne représentent que 10% à 15% de notre recrutement. Le total des francophones, entre 20 et 25%.
C'est une situation différente de celle qu'on a pu connaitre il y a vingt ou trente ans, lorsque la moitié du recrutement était francophone.
On ne peut donc plus pratiquer le "binomage" pour l'apprentissage du français (un francophone et un non-francophone), mais nous en sommes au "quadrinomage".
Combien d'hommes recrutez-vous par an ? Notre biorythme est autour de 1000. Nous avons été au-dessus ces dernières années - jusqu'à 1400. Nous sommes cette année en dessous, autour de 800.
Il faut dire que notre effectif global décroît, de 600 postes en trois ans. Nos effectifs sont, aujourd"hui, de 7334, dont 7000 servent à titre étranger.
Ce sont tous les légionnaires et les sous-officiers, même si la Légion compte également quelques sous-officiers de l'armée de terre, surnommés "cadres blancs", pour des postes de spécialistes.
Quel est votre taux de sélection ? Un sur huit, autant dire que nous avons le choix. Cela se voit au niveau général qui est assez élevé : 13,5/20.
Il faut en finir avec une mythologie : nous ne recrutons pas des criminels qui viendraient se faire oublier en s'engageant à la Légion !
Certes, nos hommes sont souvent des blessés de la vie, qui viennent chez nous pour repartir du bon pied avec la volonté de s'en sortir.
Le ministre de la Défense confie au général COM.LE la responsabilité du personnel servant à titre étranger.
Il y a toujours eu beaucoup de déserteurs à la Légion. Qu'en est-il en 2012 ? Entendons nous d'abord sur la notion de déserteur. Ce sont des étrangers, et ils peuvent avoir envie de rentrer chez eux, ne serait-ce que parce qu'ils vont mieux,
qu'ils ont le mal du pays ou parfois sur un coup de tête. Ce dont on peut parler avec certitude, c'est du taux d'attrition : il est de 22% au cours de six premiers mois et de 10% les six mois suivants.
Cela signifie qu'un engagé sur trois (32%) nous quitte au cours de la première année.
Conserver dans nos rangs les légionnaires qui ont fait le choix courageux de s'engager demeure pour nous un objectif permanent.
Est-ce qu'on s'engage toujours sous une fausse identité ? Encore un mythe ! Il n'y a pas d'anonymat à la Légion.
Il existe deux situations encadrées par la loi : "l'identité présumée réelle" et "l'identité déclarée". 80% des engagés préfèrent la première solution - ils s'engagent sous leur nom.
Mais nous devons faire attention : identité présumée réelle ne veut pas forcément dire identité réelle. L'engagé peut arriver avec des papiers qui ont l'apparence du vrai mais qui sont faux.
Nous devons donc le vérifier dans leurs pays d'origine et cela peut prendre plusieurs mois.
Ce "statut étranger" limite leurs droits civils, par exemple pour l'ouverture d'un compte en banque. Qu'en est-il ? En France, pour permettre l'ouverture d'un compte bancaire, le banquier doit s'assurer de l'identité de son client.
Dans ce contexte, la Légion vient d'établir un nouveau partenariat avec le Crédit Agricole Alpes-Provence, qui permet au légionnaire sous identité déclarée de détenir un compte bancaire et une carte de paiement.
Il y a eu des incidents regrettables au sein de vos unités, avec des traitements dégradants. Que faites-vous pour les éviter ? D'abord, il faut être humble et ne pas penser que cela ne pourrait pas se reproduire. C'est un combat permanent sur le style de commandement pour toutes les unités de l'armée de terre.
J'effectue un effort particulier sur les jeunes lieutenants : ils ne doivent pas être "mytho"?
Je recherche des officiers capables de sentir rapidement que les légionnaires qui ont tout quitté attendent beaucoup de leurs chefs
Et d'abord que ceux-ci créent du lien, du respect réciproque et de la confiance.
Que les choses soient claires : la Légion n'est pas au-dessus des lois ! Il n'existe pas d'immunité propre à la Légion qui nous permettrait de nous affranchir des lois et règlements.
Et je ne suis pas là pour couvrir des erreurs de commandement.
La Légion ne protège les légionnaires que contre leur propre passé. Ou plus exactement contre le passé qu'ils nous ont déclaré à l'engagement.
Si le légionnaire s'est engagé en nous disant qu'il était recherché dans son pays pour un vol de voiture, c'est une chose.
Mais si on apprend ultérieurement qu'il est aussi recherché pour le meurtre de cinq personnes dans son village, c'en est une autre. Et nous le remettrons à la Justice.
Toujours pas de femmes à la Légion ? Si, il y a quelques officiers et sous-officiers féminins - et les choses se passent très bien. Mais le recrutement étranger n'est pas ouvert aux femmes.
La formation de base oblige à beaucoup de promiscuité. Le premier mois, les hommes vivent ensemble dans une ferme du 4ème étranger.
Cette pédagogie assure un amalgame rapide et une intégration de toutes les cultures.
La présence de femmes provoquerait des tensions et des jalousies entre légionnaires dans un milieu déjà fragile.
Et la principale difficulté viendrait de la différence de culture et d'approche, d'un pays à l'autre, dans la relation à la femme.
Les légionnaires deviennent-ils tous Français au terme de leur engagement ? Il faut d'abord qu'ils en expriment le souhait et ce n'est pas toujours le cas. Certains rentrent chez eux et ne souhaitent pas rester en France.
Chaque légionnaire reste libre de son choix. En moyenne, il y a 200 à 250 naturalisations par an.
Si on compte que 1000 hommes s'engagent chaque année et qu'un tiers s'en va au cours de la première année, cela veut dire qu'un légionnaire sur trois devient français.
Il existe, depuis 1999, une loi, adoptée à l'unanimité, qui permet aux blessés en opération et qui le souhaitent d'accèder de plein droit à la nationalité française.
C'est le principe de l'acquisition de la nationalité française "Par le sang versé".