Dans la famille de Pierre Borderie, membre du Comité de Clamart du Souvenir Français, l’engagement n’est pas un vain mot. En 1940, après la débâcle de l’armée française, ses parents entrent en résistance. Profondément patriotes et dynamiques, ils font parties des première équipes opérationnelles contre l’envahisseur.
Deux années plus tard, alors que le jeune Pierre a tout juste 15 ans, son père est arrêté par la police nazie, enfermé en prison puis déporté en 1943 à Buchenwald. Année funeste : sa mère est à son tour arrêtée et déportée dans le même camp de concentration. Voilà Pierre Borderie orphelin d’une famille glorieuse, dans un pays vaincu.
Son oncle voit qu'il y a urgence à trouver une activité stabilisante à cet adolescent puissant et rêveur à la fois. Organisateur de parachutages dans le Périgord, il fournit à Pierre de faux papiers et lui permet de rentrer dans la Résistance, au commando Austin-Conte, bataillon Bertrand, pendant six mois de juin à novembre 1944. Là, il y fait un apprentissage pratique sur le terrain lors de sabotages sur l'axe Bordeaux-Toulouse et il se fait remarquer par son courage et son sang-froid. Blessé, alors que son groupe attaque un convoi allemand de la division mongole, Pierre Borderie est d'abord soigné clandestinement, puis séjourne à l'hôpital de Sainte-Foix-la-Grande, en Gironde, avant de rejoindre son groupe à Bordeaux. Il veut être incorporé dans l'armée régulière qui est en train de se réorganiser. Hélas, 17 ans, c'est trop jeune ! Bon pour le service dans la Résistance, mais écarté administrativement de l'armée nationale : Pierre est moralement cassé par ce refus.
Il va lutter pendant deux ans, en 1945 et 1946, contre le règlement scolaire très rétro d'une formation professionnelle en dessin industriel. Puis pendant deux autres années, 1947 et 1948, il est inscrit en faculté de médecine. Mais, ce qui l'attire, ce sont les blagues de carabin et les caves de Saint-Germain-des-Prés, où il fréquente les zazous, les groupes de jazz, ou des artistes comme Juliette Gréco. Finalement, le "potache farceur" est exclu de la Fac. Va-t-il gâcher le reste de sa vie ?
Par un réflexe salvateur, les souvenirs de ce qu'il a vécu comme combattant précoce vont balayer les amusements superficiels. Il se présente au bureau de Vincennes et il signe pour six ans dans la Légion Étrangère (pour ce faire, on lui attribue une nationalité suisse). La Légion est maintenant sa famille, il y trouvera l'encadrement nécessaire à l'épanouissement de ses qualités.
Dès lors, sans le savoir, il a rendez-vous avec l'Indochine.
Pierre Borderie, nouveau légionnaire, est dirigé d'abord sur Philippeville et Sétif en Algérie, au 1er bataillon étranger de parachutistes (1er BEP). En six mois il est breveté "para". Départ pour l’Indochine à bord du Pasteur qui l’emmène en trois semaines à Saigon. Après quelques jours passés dans la capitale de la Cochinchine, il embarque sur la Rafale et en une semaine rejoint le grand port du Tonkin : Haiphong pour intégrer le 2ème BEP.
L'affectation qu'il reçoit est, pour lui, une déception. Il est bien au 2e BEP., mais il est détaché à un stage d'infirmier qui a lieu à l'état-major installé à Dalat, au tiers sud de l'Annam (les cours de médecine ont tout de même servi !). Il se sent frustré de ne pas être sur le champ de bataille, soit pour combattre, soit pour soigner.
À sa demande, il part en opérations le plus souvent possible : Tonkin, Centre-Annam, Laos en 1949 où il est blessé, Cochinchine. Un jour où sa compagnie est obligée de reculer devant une division Viet, il ramène un blessé sur ses épaules, malgré les ordres de son commandant de compagnie et il présente sa section au complet. Cet acte de bravoure lui vaut "8 pains" (jours de prison) pour désobéissance, mais aussi un grade de caporal-chef.
Début 1949, chez le grand voisin chinois, les troupes communistes entrent à Pékin. Parallèlement, six mois après, l'empereur Bao Dai débarque à Saigon et y installe le gouvernement nationaliste vietnamien. C’est là l’élément le plus probant des accords signés au palais de l’Elysée entre la France et sa colonie : le Vietnam est maintenant indépendant dans le cadre de l’Union indochinoise. Au début du mois d’octobre 1949, le CEFEO (Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient) subit les attaques du Vietminh en pays thaï puis dans le nord du Tonkin. Un convoi est assailli sur la route entre Cao Bang et Lang Son : on dénombre 28 tués, 44 disparus et 37 blessés.
L’année suivante, ce n’est plus une attaque que le CEFEO doit subir mais une vaste offensive : elle y perd toute la zone nord du Tonkin, celle de la frontière avec la Chine. Ayant terminé son stage d’infirmier, Pierre Borderie est de tous les coups. Blessé à deux reprises, il n’en continue pas moins à œuvrer pour soigner les camarades qui tombent autour de lui.
Novembre 1953 : le 1er BEP, auquel il est à nouveau attaché, est envoyé sur une zone dans l’extrême ouest du Vietnam, près du Laos. Son nom restera gravé dans les mémoires : Diên Biên Phù. Les soldats commencent à fortifier le camp. L’état-major a demandé à la section à laquelle appartient Pierre de se rendre sur le piton Isabelle. Notre infirmier entend le général Gilles, commandant les paras, murmurer, en voyant la cuvette de Diên-Biên-Phu : « c'est un piège à c.... ».
Dans les derniers jours de Diên-Biên-Phu, Pierre est de nouveau blessé par une rafale de mitraillette, comme il le dit avec humour : « du bas du mollet droit à l’épaule droite : 6 trous ». Il tente néanmoins de continuer à soigner ses blessés. Mais au bout d’un certain temps il s’évanouit et ne se réveillera qu'à l’hôpital Dominique-Larrey de Versailles. Il a été évacué dans les derniers. Il n'en garde aucun souvenir.
Il finit son temps militaire en 1955 et sa vie professionnelle en 1990. « Je n’ai pas vécu la guerre boum-boum, celle des consoles où grouillent les robots de nos petits-enfants. C'est celle du sang que l'on verse et des larmes que l'on retient » ajoute-t-il.
Pierre Borderie est titulaire de nombreuses décorations dont la Médaille Militaire, la Croix de Guerre TOE avec 2 clous et une palme, la Croix du Combattant Volontaire, la Médaille des Blessés avec 4 étoiles.
Rédigé par Souvenir Français des Hauts-de-Seine