Audition du CEMAT
par la commission de la défense de l’Assemblée nationale,
portant sur la nouvelle vision stratégique de l’armée de Terre, le 17 juin 2020
Le risque d’escalade vers un conflit de haute intensité est très élevé.« Nous venons de vivre une crise sanitaire qui a stoppé l’activité économique mais qui n’a pas gelé les tensions internationales. La prochaine crise pourrait tout à fait être sécuritaire, voire militaire. (…) Il nous faut durcir l’armée de Terre pour qu’elle soit capable de faire face à des conflits encore plus difficiles que nos engagements actuels, déjà bien éprouvants. C’est cette idée qui a motivé les travaux de la
vision stratégique initiés l’été dernier. Le risque, c’est la tentation du possible. (…) Les conflits se durcissent et nos compétiteurs sont très habiles ! (…) Plusieurs facteurs amplifient considérablement le risque de conflits de haute intensité : ils sont politiques, technologiques et informationnels.
La première conclusion est que nous arrivons peut-être à la fin d’un cycle de la conflictualité qui a duré 20 ans où l’effort de nos armées s’est concentré sur le combat contre le terrorisme militarisé. (…) Il nous faut réapprendre la grammaire de la guerre de haute intensité. La deuxième conclusion est que le risque d’escalade militaire est très élevé.
La France doit disposer d’une armée de Terre durcie prête à faire face aux chocs les plus rudes
Mon ambition, ma mission est que la France dispose d’une armée de Terre durcie, prête à faire face aux chocs les plus rudes.
Nous devons être capables de déployer un
volume de forces significatif beaucoup plus rapidement que ce que nous sommes capables de faire actuellement. (…)
Une armée de Terre durcie, c’est ensuite une armée de Terre puissante,
entraînée et adaptée aux nouvelles menaces. Pour éviter d’être contournés par nos adversaires dans un segment où nous ne sommes pas présents, le meilleur moyen est de conserver un modèle d’armée complet, suffisamment dissuasif. Pour être puissants, il faut également mieux combiner nos effets : les effets physiques au travers des actions de combat mais également les effets immatériels comme le brouillage ou la déception. (…)
Une armée de Terre durcie, c’est enfin une armée de Terre
résiliente. Il nous faut de l’épaisseur. Cette armée de Terre prête d’emblée, puissante et résiliente, il faut l’inscrire dans un nouveau concept d’emploi des forces terrestres que nous sommes en train d’écrire.
Rehausser le niveau de notre préparation opérationnelle
L’armée de Terre, c’est aussi le maillage du territoire et la capacité de protéger et soutenir très vite les Français si la situation le nécessite. Pour atteindre cette ambition d’armée de Terre durcie, mon intention est de rehausser le niveau d’exigence de notre préparation opérationnelle. Il nous faut rehausser le niveau de préparation de nos officiers et de nos sous-officiers. Il faut aussi renforcer l’exigence de la formation de nos militaires du rang.
Mon premier objectif stratégique est de préparer nos soldats à des
engagements encore plus difficiles. Nos jeunes doivent trouver dans l’armée ce pour quoi ils se sont engagés : le dépassement de soi, l’aventure… C’est dans cet esprit que j’ai souhaité réécrire le Code d’honneur du soldat dont vous avez été destinataires. Je veux également renforcer nos capacités de formation technique. Nous avons le projet de créer une Ecole technique parce que nous avons de plus en plus besoin de sous-officiers très qualifiés pour assurer des fonctions techniques et d’encadrement. Ce projet illustre assez bien l’idée « d’escalier social » qui fait partie de l’identité de l’armée de Terre. (…) Nous avons également besoin d’une réserve plus entraînée et plus employable. Elle est essentielle pour regagner cette épaisseur dont nous avons besoin en combinant l’action de nos unités d’active et de réserve. (…) Je termine avec nos blessés. Nous avons le projet de créer une structure qui doit leur permettre de mieux se réinsérer dans la vie professionnelle.
Pour durcir l’armée de Terre, il nous faut ensuite des
capacités essentielles. C’est mon deuxième objectif stratégique. J’étudie tout d’abord la réorganisation de la gestion de nos parcs de véhicules pour redonner aux régiments les moyens de s’entraîner en garnison et donc leur redonner du temps de préparation. Concernant la modernisation de nos matériels, je milite pour que nous trouvions le plus juste équilibre technologique pour assurer notre supériorité opérationnelle. L’équation n’est pas simple entre masse et technologie mais les premiers retours que nous avons de l’expérimentation du Griffon par le 3
e RIMa sont bons et me confortent dans l’idée que la transformation Scorpion apportera une vraie plus-value tactique à nos unités. Sur le plus long terme, il nous faut entamer la modernisation du segment lourd, celui de nos brigades blindées tout en assurant la pérennité des capacités actuelles. Le programme principal sera le MGCS qui sera le système de chars de combat franco-allemand qui remplacera le Leclerc et le Léopard 2 à horizon 2035.
Mon troisième objectif stratégique est
l’entraînement qui doit être centré sur l’engagement majeur. Notre niveau est bon parce que nous participons à beaucoup de compétitions avec des concurrents le plus souvent à notre portée. Nous devons maintenant nous préparer à affronter des poids lourds de haut niveau, sans préavis de préparation. Nous devons donc savoir manœuvrer dans la profondeur, dans un environnement hostile en exploitant au mieux tout le potentiel du combat Scorpion. Ce serait une faute que de ne pas aller au bout de ce que permettent ces matériels. Nous évaluerons cette préparation au conflit de haute intensité dans un exercice majeur de niveau division dans les années qui viennent. Un exercice majeur, associé à une bonne communication stratégique, c’est aussi une manière de dissuader nos adversaires !
Mon dernier objectif stratégique est celui de
la simplification. Aujourd’hui, notre fonctionnement est devenu compliqué avec l’accumulation de normes et de directives multiples.(…) Apprenons à nos chefs à exercer la subsidiarité. »
Questions/réponses :
« De manière plus générale, cette crise nous apprend qu’il ne faut pas seulement viser l’efficience et qu’en cas de crise l’efficacité doit demeurer pour maintenir une capacité opérationnelle. Ainsi, à l’avenir, il faudra faire de la résilience un impératif premier, à combiner à celui de l’efficience. Le niveau d’efficience du temps de paix doit garantir la résilience du temps de crise.
Monsieur le député Thiériot, je serais fautif si j’avais élaboré une vision stratégique qui ne tienne pas dans la LPM. Mais dans cette enveloppe de la LPM, mon souci est de trouver les moyens nécessaires à l’entraînement. Ils ont sans doute été insuffisamment identifiés car je constate que les contraintes de maintenance se renforcent.
La guerre prend de nouvelles formes, où se conjuguent des actions dans le champ matériel – les actions de combat – et d’autres dans le champ immatériel. Cette combinaison doit conduire à une posture qui dissuade l’adversaire. C’est dans ce cadre que nous travaillons à l’écriture du nouveau concept d’emploi des forces. »