21 novembre 1959 : invité par le colonel Albert Brothier, l’abbé Pistre, vice-président national des sous-officiers de réserve, champion de rugby du Tarn, arrive à Sidi-Bel-Abbès ; il vient présider une cérémonie dans la salle d’honneur du musée de la Légion ; il dévoile une vitrine : une croix d’officier de la Légion d’honneur, deux croix de Chevalier de la Légion d’Honneur, 3 Médailles militaires, 15 palmes et 19 autres citations ; ces décorations appartiennent à trois Hongrois tombés au champ d’honneur en mai 1959 : l’adjudant-chef Janos Valko du 5e R.E.I., l’adjudant Laszlo Tasnady du 1er R.E.P. et l’adjudant Istram Szuts du 3e R.E.I..
31 janvier 1960 : A Sidi-Bel-Abbès, une effervescence se produit, comme partout en Algérie. Le colonel Albert Brothier demande, dans un tract, aux Bel-Abbèsiens de rester calmes : ‘’Je vous donne ma parole d’officier que jamais la Légion ne quittera ce pays, et surtout pas Sidi-Bel-Abbès, qui est sa terre et sa patrie.’’
En 1961, la salle d’honneur est entièrement transformée. Elle est prolongée d’une crypte dans laquelle sont conservés la main de bois du capitaine Danjou ainsi que les drapeaux et étendards réformés des régiments étrangers
· 22 avril : A Sidi-Bel-Abbès, dans la matinée, alors que le 1er Etranger est en effervescence, le colonel Albert Brothier veut que tout se passe dans l’ordre : aucune action ne doit être entreprise sans son consentement.
· A Sidi-Bel-Abbès, le général Léon Perrotat, patron de la 29e D.I. et de la Z.C.O., refuse le ralliement à Alger : le colonel Albert Brothier patron du 1er R.E. ne veut pas engager la Légion Etrangère bien que cela bouge dans des unités de la Légion Etrangère.
· Le colonel Brothier répond au coup de téléphone des généraux insurgés : ‘’La Légion, étant par définition étrangère, n’interviendra pas dans une affaire purement française’’.
· 23 avril : A Sidi-Bel-Abbès, dans la matinée, le colonel Albert Brothier est toujours indécis et rentre chez lui ; il vit les jours les plus sombres de sa carrière.
· A Sidi-Bel-Abbès, dans l’après-midi, le colonel Albert Brothier voit son adjoint, le lieutenant-colonel Geoffroy de Baulny, et son chef d’état-major, le commandant Bertany, venir lui demander de reprendre son commandement : les officiers de la Légion Etrangère ne veulent pas désobéir à leur supérieur direct.
· La Légion dans son ensemble refuse l’insurrection.
· Il n’y a pas de discussions entre les légionnaires et leurs officiers. L’idée même de telles discussions est inimaginable à la Légion. Les tentations, les hésitations, les drames de conscience ne se passent à la Légion que sous les képis galonnés.
· Or, la maison mère ne bronche pas ; la Légion dans son ensemble refuse l’insurrection.
· Malgré quelques mouvements d’humeur, le NON de la Légion pèse d’un grand poids. Ce non n’a pas été prononcé avec une unanimité impressionnante, ni de gaieté de cœur, ni d’hésitation ; c’est certain. Mais toute l’histoire de la Légion permet de comprendre pourquoi il en est ainsi.
· 24 avril : A Sidi-Bel-Abbès, le colonel Albert Brothier convoque ses officiers et sous-officiers dans la salle de cinéma ; il lance un appel angoissé : ‘’même si c’est pour défendre l’Algérie Française dont je suis, comme vous le savez, un fervent adepte, je ne comprends pas que la Légion ait été employée pour occuper les points stratégiques à Alger. Elle est faite pour se battre et non pour faire de la politique’’. Ce discours est très applaudi par la majorité des sous-officiers et des officiers.
30 avril 1961 : A Sidi-Bel-Abbès, c’est un Camerone en deuil ; juste une prise d’armes, grilles fermées ; la main de bois du capitaine Danjou reste au musée de la Légion ; les légionnaires écoutent le récit de Camerone dans un silence complet : c’est un Camerone à huis-clos.
11 août 1961 : baroud d’honneur à Sidi-Bel-Abbès.
· A l’aube, une patrouille cycliste de la police d’état qui circule à proximité du jardin public de Sidi-Bel-Abbès surprend quatre individus dont deux paraissent armés. Immédiatement prévenus, le groupe d’alerte et les patrouilles motorisées du 1er Etranger encerclent le jardin et capturent l’un des suspects qui est un collecteur de fonds. Les trois autres se retranchent dans une maison entourée d’une végétation dense. L’approche en est extrêmement difficile. Le terrain se présente comme un glacis et à moins de trois mètres de la maison s’élève la clôture du jardin.
· A plusieurs reprises, les légionnaires de la compagnie d’instruction des parachutistes et de la police militaire donnent l’assaut mais la disposition des lieux permet aux rebelles de les tenir en échec, tuant deux d’entre eux et en blessant plusieurs. En dernier lieu, deux A.M.8 sont appelées en renfort. Intervenant au canon et effectuant des tirs dans les embrasures, elles réduisent les rebelles au silence en permettant un dernier assaut.
· Le légionnaire Heinz Zimmermann de la police militaire tombe sous les balles alors qu’il tente de pénétrer dans la maison au cours de l’action. Considéré comme le dernier légionnaire tombé en terre algérienne, son corps est transféré en septembre 1962 à Puyloubier.
Le bilan de la Maison-Mère de la Légion Etrangère est l’un des plus importants :
· 1 151 rebelles hors de combat.
· 529 armes individuelles et collectives récupérées.
Ses propres pertes sont :
· 2 officiers, 10 sous-officiers et 53 légionnaires tués.
· 136 gradés et légionnaires blessés.
30 avril 1962 : chaque 30 avril, la foule se presse aux grilles du quartier pour assister à la prise d’armes. Lorsque le 1er régiment étranger défile dans les rues à l’occasion du dernier Camerone à Sidi-Bel-Abbès, l’émotion de la population n’est pas feinte.
29 septembre 1962 : à Sidi-Bel-Abbès, au quartier Viénot, la Légion Etrangère, en grande tenue, salue ses reliques et les cercueils du général Rollet, du prince Aage de Danemark et du légionnaire Zimmermann, transférés à Aubagne. C’est la dernière cérémonie. La Légion Etrangère doit laisser ses morts dans le carré des légionnaires, quelques centaines de tombes. Les chevaliers du désert s’apprêtent à quitter la scène.
· Toutes les reliques sacrées sont emballées pour le déménagement : la main de bois du capitaine Danjou, les armes des régiments étrangers de l’ancien régime, les boutons d’uniforme, les drapeaux alourdis, écrasés de médailles, les portraits de tous les colonels du 1er Etranger, les noms gravés dans le marbre de tous les officiers tués au feu, le sabre du président mexicain Juarez, les trophées de Tuyen-Quang et Moussefré, des galons d’officiers ; les culasses des fusils des héros d’Alouana.
Septembre 1962 : le morcellement et l’évacuation de la Légion Etrangère ont commencé vers la Métropole, vers la Corse, vers Djibouti. Il n’y a plus à Sidi-Bel-Abbès que sept cents légionnaires au lieu de dix mille. Aux termes des accords d’Evian, les troupes françaises n’ont pas le droit, avant leur rapatriement, de sortir de leurs casernes en unités constituées. La Légion ne veut pas le savoir. A Sidi-Bel-Abbès, des compagnies de Légion continuent à défiler en chantant le fameux Anne-Marie. La clique continue à accompagner jusqu’à la gare tout légionnaire quittant la garnison.
· Au quartier Viénot, les traditions sont toujours présentes. La sentinelle en grande tenue se met au garde à vous au passage d’un gradé, présente les armes aux officiers. Comme elle tourne le dos à la grille, elle ne voit pas ce qui vient de l’intérieur ? aussi, à quelques pas, se tient un caporal, l’air de rien, qui siffle doucement, presque imperceptiblement, du plus loin qu’apparaissent des galons. Le présentez-armes est exécuté avec la rigidité claquante d’automate qui ne peut être observée que dans les armées de métier.
· La sentinelle vous désigne un petit bureau attenant à la grille, où un adjudant-chef, quinze ans de service au bas mot, avec toutes ses décorations, vous dévisage d’un air glacial en téléphonant pour vérifier que vous avez bien rendez-vous : un légionnaire va vous accompagner.
· Aujourd’hui encore, vous ne pouvez pas parcourir seul deux mètres à l’intérieur d’un quartier de la Légion Etrangère. Un légionnaire ou un gradé, selon votre qualité et selon les circonstances, marche auprès de vous. Il marche au pas de la Légion et vous devez vous mettre à ce pas.
· Vous commencez à cet instant à comprendre que vous entrez dans un monde à part.
24 octobre 1962 : la Légion Etrangère abandonne Sidi-Bel-Abbès.
· Le fameux monument aux morts, globe terrestre orné d’or, socle en onyx, quatre figures monumentales aux angles, ensemble de neuf mètres sur sept, six mètres de haut, poids énorme non calculé, est descellé et transporté vers Aubagne pour y être reconstruit.
· Au cours de la dernière nuit passée à Sidi-Bel-Abbès, 700 légionnaires sont rassemblés sur la place d’armes du quartier Viénot, à l’emplacement laissé vide depuis le démontage du monument aux morts. Un feu est allumé, et les légionnaires entonnent des chants. Il leur reste une ultime et étrange mission à accomplir : celle de brûler symboliquement un drapeau.
· Les drapeaux pris aux pirates chinois, les Pavillons noirs, à Tuyen-Quang sont brûlés sur l’emplacement du Monument aux Morts, conformément aux vœux du capitane de Borelli ; la large soie bleu sombre marquée de grands idéogrammes chinois disparaît dans les flammes ; alors que les légionnaires entonnent pour la dernière fois à pleine voix, sous le ciel d’Algérie, ce chant grave et mélancolique : ‘’Adieu, Adieu, ô Bel Abbès. Lieu vénéré de nos aïeux. Nous garderons la tradition et combattrons pour la gloire du fanion’’.
· Après le départ du colonel et du drapeau, Sidi-Bel-Abbès cesse définitivement de vivre à l’heure légionnaire. Pour la Légion, ce sont cent vingt années de présence qui s’achèvent.
· Les 700 derniers légionnaires du 1er Etranger font leurs adieux au quartier Viénot à Sidi-Bel-Abbès ; des troupes françaises vont occuper la caserne, au moins pour un temps ; la Légion Etrangère ne cède pas la place à l’A.L.N. ; le commandement a su éviter la destruction totale du quartier Viénot.
· Pour la Légion, un seul mot d’ordre un bœuf sur la langue et gros sur la patate’’.
· Durant toute la Guerre d’Algérie, de 1954 à 1962, Sidi-Bel-Abbès, cas unique, a ignoré le couvre-feu. Les fellagha savaient qu’il est toujours risqué de se frotter à la Légion.
· La guerre d’Algérie est un drame pour la Légion. Elle doit quitter le berceau de ses origines sans jamais y avoir subi de défaite. En 1961, deux conceptions de l’honneur s’opposent dans ses rangs comme dans ceux de l’armée française. Traumatisés par les reniements indochinois aux conséquences dramatiques, de nombreux officiers choisissent la fidélité à la parole donnée aux Musulmans engagés avec la France. D’autres officiers imprégnés d’un sens de la discipline la plus stricte préfèrent tenir la Légion à l’écart d’un conflit franco-français où elle risque de se perdre.