Le légionnaire à la tête de mort ôte le masque et raconte sa descente aux enfe
Le légionnaire à la tête de mort ôte le masque et raconte sa descente aux enfers
- Par Caroline Piquet
- Mis à jour le 11/06/2014 à 17:49
- Publié le 11/06/2014 à 12:37
Pour la première fois, le militaire aujourd'hui exclu de la Légion étrangère raconte au
Parisien son départ mouvementé de l'armée et sa lente descente aux enfers.
Il a deux identités. Dans la vraie vie, il s'appelle Joachim Tybora. À la légion, on l'appelait Erik Thorsten. Longtemps resté anonyme, le légionnaire qui avait soulevé une polémique en portant un masque en forme de tête de mort sort de son silence. Pour la première fois, le militaire interrogé par
Le Parisien parle à visage découvert et raconte son départ mouvementé de l'armée, entre pressions politique et médiatique. «C'est ironique, je suis photographe amateur et c'est une photo qui a mis fin à ma carrière militaire», confie-t-il au quotidien, qui s'est rendu dans son appartement à Göteborg, en Suède.
En janvier 2013, le militaire d'origine polonaise était encore sur le terrain. En pleine opération «Serval» contre les djihadistes au nord du Mali, le légionnaire se fait prendre en photo, le visage à moitié recouvert par un foulard représentant une tête de mort. Ce masque acheté dans une boutique d'accessoires pour motards lui donne des faux airs de Ghost («le fantôme»), un personnage du très populaire jeu vidéo de guerre
Call of Duty. Rapidement, le cliché circule sur la Toile et suscite l'indignation chez les internautes. À Paris, l'état-major juge inacceptable le comportement du militaire. Sur place, sa hiérarchie lui demande de «rester concentré sur la mission en cours» mais lui explique qu'il va «être puni pour calmer la pression médiatique».
- Citation :
- «Il y avait des corvées, peu de sommeil. On lui tournait le dos, ses camarades et supérieurs lui disaient : “Tu vas payer”»
Me Anne Grima, son avocate
«Ce masque, qui était un effet non réglementaire, était trop lourd de symbolique, explique au
Figaro Bruno Louisfert, responsable de la communication de l'armée de terre. Cela mettait l'armée en porte-à-faux et allait à l'encontre des valeurs de l'armée française, détaille le colonel. Il a donc été sanctionné au Mali mais n'a pas du tout fait l'objet de rapatriement disciplinaire.»
C'est à son retour en France, au mois de février, que la situation s'envenime. Le brigadier subit des pressions de la part de ses compagnons de caserne, à Orange, dans le Vaucluse. «Il y avait des corvées, peu de sommeil. On lui tournait le dos, ses camarades et supérieurs lui disaient: “Tu vas payer”», raconte son avocate Me Anne Grima, jointe par
Le Figaro. Le légionnaire demande à résilier son contrat, ce qu'on lui refuse. Des informations que Bruno Louisfert ne peut ni infirmer, ni confirmer. Tout ce qu'il sait, c'est que «la hiérarchie n'a détecté aucun problème à son retour. Il est parti en permission mais a oublié de revenir, raconte le colonel. Il a été sanctionné, puis, il est reparti une seconde fois en permission et n'est jamais revenu.» Une procédure automatique de radiation est déclenchée: il est exclu de l'armée au mois d'août.
Commence alors la descente aux enfers: l'alcool et la drogue le mènent plusieurs fois à l'hôpital. Placé sous antidépresseurs, il fait plusieurs tentatives de suicide. En novembre 2013, il se retrouve même dans un poste de police pour avoir tenté de braquer une pharmacie à Orange avec une kalachnikov démilitarisée. «Il n'avait pas une once de violence, il était simplement sous l'effet de substances, raconte son avocate. Et le lendemain, il ne se souvenait de rien.» Il est alors interpellé et condamné à trois ans de prison avec sursis devant le tribunal correctionnel. Un psychiatre qui l'a examiné avait conclu à une altération de son discernement. «Je suis devenu fou», raconte au
Parisien celui qui n'avait aucun antécédent judiciaire
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«Cet événement a mis fin à cette longue période d'autodestruction, analyse Me Grima. Cela a été un vrai déclic, une prise de conscience, qui l'a poussé à partir en Suède.»
Aujourd'hui conducteur d'engins, Joachim Tybora reconnaît son erreur mais pense que la photo a été mal interprétée. «Ce n'était pas une menace. Derrière le masque, j'étais juste un petit soldat», raconte-t-il, avec une pointe d'amertume. L'armée aurait-elle pu prévenir cette désertion et «sauver» le brigadier Tybora? «Il y a un suivi avant, pendant et après une opération, on s'efforce de couvrir au mieux les hommes, répond le colonel. Vous savez, quand un camarade tombe, ça ne fait jamais plaisir. Il y a toujours un sentiment de gâchis.»