Pourquoi s'engage t-on à la Légion étrangère ? Chaque engagement est l'aboutissement d'une démarche personnelle. Mais pour tous, c'est un acte libre, un acte personnel, un acte de courage.
"La famille s’agrandit !". Par ce titre de couverture, le magazine Képi Blanc met en avant sept remises de képi blanc, 66 sous-officiers nouvellement nommés et davantage encore de spécialistes brevetés. Ce succès a une genèse : la qualité du recrutement. "Recruter des volontaires pour en faire des légionnaires" chante le Groupement de recrutement de la Légion étrangère. C’est l’objet du dossier de ce mois-ci.
Le recrutement à la Légion étrangère est un vrai sujet, qui depuis 1831 suscite a minima de la curiosité, toujours une part de mystère, souvent des fantasmes, parfois de la calomnie, mais jamais d’indifférence. Sa richesse vient bien sûr de la diversité des origines des légionnaires (aujourd’hui 154 nationalités), mais la Légion n’est pas l’ONU ! Cette richesse vient d’abord et surtout de la démarche initiale de volontariat du candidat à l’engagement, dont il est très difficile de déterminer la motivation profonde : mais franchir la porte d’un poste de recrutement de la Légion, a fortiori pour un étranger, est surtout un acte de courage.
Pourquoi s’engage-t-on à la Légion étrangère ? "À cette question, il y a presque autant de réponses qu’il y a de candidats, car le coeur et la volonté des hommes sont mus par des pulsions les plus variées", répondait humblement le général Gaultier, qui précisait par ailleurs : "Le légionnaire anonyme ! C’est celui qui certain matin éclatant de soleil ou certain soir déjà envahi par la nuit a débarqué du train à Marseille, lourd d’un passé qui ne regarde que lui et qui ne sera scruté, avec toute la discrétion requise, que pour évincer les brebis galeuses indignes de l’honneur de porter le képi blanc et germes de contamination. Encore hésitant, il est attiré par le havre où il pourra oublier ses misères, guérir de ses blessures, se racheter de ses fautes, fuir la géhenne d’une existence trop veule ou mal engagée ou décevante ou trop avare de ses faveurs, contracter des amitiés et vivre avec elles et avec honneur dans l’exaltation d’aventures avouables."
Cet acte de courage est intrinsèquement libre. C’est ce qu’écrivait le légionnaire Martin, engagé dans les années 1920, dans son livre "Je suis un légionnaire", préfacé par le général Rollet : "La seule impression qui me soit restée de cette première semaine au Fort Saint-Jean en attendant l’embarquement, la seule que j’ai éprouvée, fut un immense soulagement, un apaisement total à me sentir ainsi détaché de tout."
La meilleure description de la typologie du recrutement de la Légion étrangère est celle faite par les légionnaires eux-mêmes, à travers leurs chants. Ils traduisent :
- la motivation : "quand on a une fi lle dans l’cuir, et que la vie vous dégoûte, on s’engage sous le fanion vert et rouge de la Légion, et sac au dos on prend la route" ; "quand on a bouffé son pognon ou gâché par un coup d’cochon toute sa carrière, on prend ses godasses sur son dos et l’on file au fond d’un paquebot aux légionnaires" ;
- la diversité : "On y trouve des copains d’partout, y en a de Vienne de Montretout, pas ordinaires, des aristos et des marlous qui se sont donnés rendez-vous aux légionnaires. Y a des avocats des médecins, des juges, des marquis, des roussins, d’anciens notaires, même des curés qui sans façon baptisent le Bon Dieu d’sacrés noms, aux légionnaires";
- les blessures intérieures et physiques : "Nous les damnésd’la terre entière, nous les blessés de toutes les guerres, nous ne pouvons pas oublier un malheur, une honte, une femme qu’on adorait" ;
- le volontariat : "nous sommes tous des volontaires, les gars du 1er Étranger".
Cette diversité est également soulignée par le général Gaultier : "il n’y a pas un type de légionnaire ; il n’y a que des cas particuliers dans le temps et dans l’espace". Comment le recruteur détectet-il donc, dans cette diversité, le futur légionnaire ? D’abord, par sa propre expérience de légionnaire. Il ne s’agit pas d’une cooptation, mais plutôt d’un premier filtre. C’est ce qu’explique le Général Hallo dans son livre Monsieur Légionnaire : "Dans la pratique, les recruteurs eurent beaucoup plus souvent à dissuader qu’à persuader et jamais à imposer". C’est la raison majeure, pour laquelle le recrutement à la Légion étrangère n’est pas "racoleur". Comment alors attirer le candidat avec le succès que l’on connait sans racolage ? Sans doute pas par des trouvailles de communicants ou publicistes en quête de slogans ou de logos, souvent facturés très chers, et parfois plus déroutants que convaincants, mais en s’inspirant des affiches, oeuvres des légionnaires eux-mêmes, qui susciteront chez le candidat une soif de liberté. Le général Hallo écrivait à ce sujet : "il est intéressant de noter que ces affi ches représentent toujours un légionnaire ou seulement une tête de légionnaire avec le képi blanc à l’exclusion de tout autre motif évoquant l’exotisme ou l’aventure. Ces affiches, de tous temps, n’ont jamais été que l’évocation de la Légion comme une fin en soi". Alors, terminons en chantant le dernier verset plein de bon sens du chant "Adieu vieille Europe" :
"Sans peur, en route pour la Légion !"Par le Général de division Jean Maurin