Je l'avais déjà posté, mais impossible envoyer : trp long. donc je raccourcis.
Pierre Sergent (né en 1926 à Sèvres et mort en 1992 à Perpignan) est un résistant, un officier français de la Légion étrangère et l'un des chefs de l'Organisation armée secrète (OAS) dont il a créé la branche métropolitaine en juin 1961. Il est également un écrivain et un élu politique du Front national (FN).
L'Indochine (1952 - 1953)
Avec son camarade Marc Nenert, il débarque à Tan Son Nhut, terrain d'aviation de Saigon, le 9 avril 195237 Il est affecté au 1er bataillon étranger de parachutistes (1er B.E.P.)38, corps de troupe parachutiste de la Légion étrangère rattaché aux Troupes aéroportées du Nord-Vietnam (T.A.P. Nord)39 Depuis sa recréation en mars 1951, le 1er B.E.P. est commandé par le capitaine Pierre Darmuzai40. Sa base arrière est à Bach Mai (dans les environs d'Hanoï), dans l'ancienne Cité universitaire. Au sein de la 1re compagnie, commandée par le lieutenant Yves Le Braz, Pierre Sergent prend le commandement de la 1re section, composée d'une majorité de volontaires vietnamiens encadrés par des légionnaires41.
Le 8 juillet, le 1er B.E.P. est mis à la disposition de la 2e division de marche du Tonkin (2e D.M.T.) du général René Cogny. Le bataillon s'installe à Trung Xa (secteur de Hung Yen42). Le 13 juillet, Pierre Sergent vole, avec deux groupes de sa section, au secours d'une patrouille de soldats vietnamiens tombés dans une embuscade. L'assaut des Viets laisse la patrouille exsangue : deux tués, quatre blessés et dix-huit prisonniers (en fait, le reste de la patrouille). Même si elle n'est pas une victoire, son intervention permet d'abattre une dizaine de Viets, de faire quelques prisonniers et surtout de délivrer cinq soldats vietnamiens43 Les accrochages de ce mois de juillet lui permettent de constater que, si le 1er B.E.P. est une « force réelle », comprenant un grand nombre de vieux soldats, il a en face de lui un ennemi terriblement « gonflé »44.
Dans la nuit du 1er au 2 septembre, il échappe de justesse à la mort : la pagode dans laquelle il loge depuis trois jours, à Phu-Ny-Quand-Xa, est touchée par la première rafale d'obus de 81 tirée sur le campement. Deux tombent sur sa chambre : le premier l'assoit par terre au moment où il va sauter par le trou du mur qui lui sert de fenêtre ; le second explose juste au moment où il atterrit de l'autre côté45.
Le 9 novembre, il participe à l’opération « Marion »46 qui voit le largage près de Phu Doan, sur les arrières des Viets, de 2 350 parachutistes du 1er B.E.P., du 2e B.E.P. et du 3e B.P.C. C’est la première fois qu’une opération parachutiste de cette ampleur est entreprise en Indochine. De nombreux dépôts (armes, munitions, vivres, essence, équipements...) sont découverts puis détruits par le Génie47 Le général de Linarès, commandant les Forces terrestres du Nord-Vietnam (FNTV), vient en personne, sur le terrain, distribuer des médailles48 L'ordre d'évacuation arrivé, le 1er BEP passe en tête, marche vingt-huit kilomètres jusqu'à Ngoc Tap, le 16 novembre. Des camions emmènent les légionnaires à Vietri. Le 17 novembre, ils passent la rivière Claire sur des bacs et, à 17h30, arrivent à Hanoï avec un matériel fabuleux à leur actif et seulement trois blessés48,49.
Le 20 novembre, il est aérotransporté, avec les premiers éléments du 1er B.E.P., sur le terrain d'aviation du camp retranché de Na San. À peine arrivé, le bataillon est envoyé sur le poste de Co Noï, à une vingtaine de kilomètres au sud-est, pour recueillir les unités qui se replient, notamment le 3e bataillon du 5e R.E.I., et couper la route à la division 316 pour la retarder. Le décrochage débute dans la nuit du 21 au 22. Talonné par les Viets, le bataillon, qui assure l'arrière-garde de la colonne, réussit la mission qui lui a été confiée en rejoignant le camp retranché après une course de vitesse50 À l'aube du 24 novembre, le colonel Gilles, commandant le camp, confie le point d'appui no 8 (P.A. 8)51 au 1er B.E.P. qui y installe son P.C., la 1re compagnie et la compagnie de commandement du bataillon (C.C.B.)52 Le 2 décembre, le P.A. 8 subit un puissant bombardement de mortier qui tombe sur la 1re compagnie au moment où Pierre Sergent fait le tour des hommes de sa section, prêts à recevoir un nouvel assaut. Une rafale d'obus de 81 tombe droit sur lui alors qu'il se trouve dans une tranchée, à la hauteur du fusil-mitrailleur d'un groupe de sa section. Le sergent Miller53, chef de groupe, qui se trouvait face à lui est tué, ainsi que le tireur F.M54. C'est la deuxième fois en trois mois qu'il échappe de justesse à la mort. Il passe le Noël 1952 à Na San, sur le P.A. 855 Le 1er B.E.P. est enfin regroupé au complet à Hanoi le 18 janvier 195356.
Le 10 mai 1953, lors d'une opération en Annam, alors que la 1re compagnie progresse en queue du bataillon, le lieutenant Sergent est grièvement blessé en se portant, avec sa section, à la hauteur de l'avant-garde tombée dans une embuscade. Il est brancardé puis transporté en ambulance à l'hôpital de Nha Trang pour y être opéré57 C'est à Paris, où il a été évacué sanitaire une fois son état stabilisé, qu'il apprend la chute du camp retranché de Dien Bien Phu, le 7 mai 1954. Cet évènement suscite chez lui tristesse et révolte, révolte contre les hommes politiques qui dirigent le pays mais aussi contre les accords de Genève où l'« on échange et on vend des hommes, du sang, de la terre». Sa convalescence prend fin en octobre 195458.
Au soir du 8 décembre, Pierre Sergent, qui rencontre pour la seconde fois de la journée le général Jouhaud, se montre très optimiste quant aux chances de réussite du coup d'état, énonçant les éléments favorables de ces derniers jours : le trouble jeté dans l'opinion par le procès des Barricades, le doute qui envahit certains gaullistes, la résolution de certaines unités de l'armée, le succès foudroyant du F.A.F. et la détermination de ses dirigeants, la détermination du général Salan et la présence du général Jouhaud à Alger. Le but est de neutraliser112 personnellement le général de Gaulle pendant son voyage, avec la certitude que personne à Paris ne sera en mesure de poursuivre sa politique et que l'U.N.R. éclatera113. Le vendredi 9 décembre, la venue du général de Gaulle, qui atterrit à l'aéroport de Zenata, non loin de Tlemcen, suscite d'importantes manifestations de Pieds-Noirs à Alger parmi lesquels se trouvent des commandos de jeunes hommes qui chargent les gendarmes114,115. Le vendredi 9 et le samedi 10 décembre, Pierre Sergent n'a aucune nouvelle du 1er R.E.P116,117. Sentant poindre l'échec, le colonel Dufour, son dernier patron, préfère « jeter l'éponge ». Tôt dans la matinée du 10, l'adjoint du général Vézinet, commandant le corps d'armée d'Alger, vient lui notifier sa mise aux arrêts et son affectation en Allemagne118. Dans la journée, encouragés par des proches du pouvoir, les partisans de l'indépendance descendent dans les rues d'Alger agitant le drapeau du F.L.N. Simultanément, Pierre Sergent apprend la présence aux portes d'Alger des régiments des chefs de corps favorables à une action : il y a le 18e R.C.P. du colonel Masselot, le 8e R.P.I.Ma. du lieutenant-colonel Lenoir et le 14e R.C.P. du lieutenant-colonel Lecomte. À la demande du général Jouhaud, Pierre Sergent prend immédiatement contact avec eux. Une réunion préalable à l'intervention se tient à Hydra en présence du général Jouhaud119, de Pierre Sergent et d'une demi-douzaine d'officiers. Un chef de corps s'engage : le colonel Masselot. Les deux autres donnent leur accord sur le fond : le lieutenant-colonel Lenoir demande que son régiment, le 8e R.P.I.Ma., ne soit pas à l'avant-garde de l'action120 ; le lieutenant-colonel Lecomte, qui craint une contre-attaque des chars de la gendarmerie, conditionne la participation de son régiment à la présence d'un régiment de chars à leurs côtés121. Le dimanche 11 décembre, l'embellie se présente sous la forme des blindés du 2e R.E.C. qui arrivent à Alger, remplissant ainsi la condition émise par le lieutenant-colonel Lecomte. Pierre Sergent rencontre immédiatement son chef de corps, le lieutenant-colonel de Coëtgoureden, qui demande un peu de temps pour permettre à ses légionnaires de souffler. Il est convenu que les chefs de corps se réuniront dans la nuit du lundi 12 au mardi 13 décembre, et qu'à 7 heures, le colonel Masselot donnera à Pierre Sergent la réponse concertée des quatre colonels. Au soir du 12 décembre, Pierre Sergent quitte le colonel Masselot sur ces mots de celui-ci : « D'ores et déjà, le général Jouhaud peut estimer qu'elle est positive. Vous pouvez le lui dire. »122. Mais le lendemain matin, c'est une réponse négative que Pierre Sergent reçoit de la part du colonel Masselot. Les quatre officiers pensent que la situation n'est pas favorable, que la métropole ne comprendrait pas, que Paris réagira mal, qu'ils n'ont ni aviation, ni marine... C'est alors la mort dans l'âme que Pierre Sergent va porter au général Jouhaud cette funeste nouvell
Pierre Sergent, qui représente le 1er R.E.P., est présent à la réunion secrète au cours de laquelle le général Faure vient annoncer au comité des colonels que le général Challe accepte de prendre la tête du coup d'état militaire134. Cette décision ne manque pas de troubler Pierre Sergent : pourquoi le général Challe se décide-t-il maintenant alors qu'il aurait pu le faire dans des conditions plus que favorables lorsqu'il était commandant en chef à Alger135 ? Sa seconde surprise est d'apprendre que l'autorité suprême de l'opération ne sera pas le comité des colonels, mais le général Challe, qui s'est montré quelque peu désarçonné face aux barricades et qu'il a fallu « travailler au corps » pendant des semaines pour qu'il se décide. Pierre Sergent s'interroge légitiment : le général Challe aura-t-il assez de fermeté pour affronter le général de Gaulle ? Il comprend que le général Challe n'est pas prêt à aller jusqu'au bout, c'est-à-dire à s'emparer du pouvoir, lorsqu'il apprend que celui-ci n'a pas choisi, parmi les deux projets d'allocution qui lui étaient présentés, celui relevant d'un discours de politique intérieure et étrangère d'un chef d'État136.
Le 13 avril 1961, le 1er R.E.P., fer de lance du putsch, arrive à sa base arrière de Zéralda137 Le rôle du régiment est déterminant : il est chargé d'investir Alger. Son chef de corps, le lieutenant-colonel Guiraud est en permission. Le chef de bataillon de Saint-Marc, commandant le 1er R.E.P. par intérim, n'est pas encore au courant. À Paris, Pierre Sergent met au courant ses camarades mutés en métropole et leur demande de se décider : un par un, ils répondent oui. Tous partiront pour Alger sauf un seul capitaine qui restera en métropole pour conserver le commandement de son escadron de chars, son intervention devant faciliter celle de son régiment qui est cantonné à faible distance de Paris138.
Dans la soirée du mercredi 19 avril, Pierre Sergent abandonne son poste au sein de l'état-major du groupe de subdivisions de Chartres et rejoint en train la gare de Lyon. Il y fait ses adieux à son épouse et prend le train pour Marseille. Au début de la nuit du jeudi 20 avril, sur la base aérienne d'Istres, il embarque, avec la complicité d'un commandant d'aviation, à bord d'un Nord 2501 pour rejoindre sans accroc l'aéroport de Maison-Blanche139. En pleine nuit, la filière qui l'a pris en charge le conduit à la villa des Tagarins où le général Challe a installé son P.C. Dans la journée du vendredi 21 avril, le commandant de Saint-Marc, qui n'était jusqu'alors pas au courant, donne son accord au général Challe qu'il est venu rencontre en personne à la villa des Tagarins. Lorsqu'il sort du bureau du général Challe, le commandant de Saint-Marc prend à part Pierre Sergent pour l'informer de sa réponse140.
Le vendredi 21 avril, en fin de soirée, Pierre Sergent pénètre dans le camp de Zéralda et rejoint son ancien bureau avec le lieutenant Godot, son adjoint. Le capitaine Rubin de Cervens, son successeur à la tête de la 1re compagnie, se met spontanément sous ses ordres. Avant le lancement de l'opération, le commandant de Saint-Marc est informé que l'alerte a été donnée à Alger et que les gendarmes sont partout. La partie sera serrée. Avec les 1re et 2e compagnies, Pierre Sergent doit avoir occupé la caserne Pélissier où siège le Corps d'armée d'Alger à 2 heures du matin, le samedi 22 avril141. Dans la nuit, il prend la tête de la longue colonne de camions142 que forment les trois compagnies et le P.C. du 1er R.E.P143 En route pour Alger, il utilise une ruse de sioux pour franchir le premier barrage de gendarmerie144, fait dégager la route par les légionnaires de sa 1re section au deuxième barrage après avoir entraîné à l'écart le capitaine de gendarmerie qui le commandait145, fait preuve de fermeté envers un lieutenant afin de se faire ouvrir le troisième barrage146 et fait foncer un GMC sur le quatrième barrage147,148,149. Il n'est pas tout à fait 2 heures du matin, ce samedi 22 avril, quand les légionnaires parviennent sur la face arrière de la caserne Pélissier147. Une incursion individuelle de Pierre Sergent, qui tombe nez-à-nez avec le général Vézinet, commandant le Corps d'armée d'Alger, met le feu aux poudres. Dans la caserne Pélissier, c'est le branle-bas de combat. La 1re compagnie bondit dans la place au moment où le poste de police ouvre la grille pour laisser entrer l'officier d'ordonnance du général Vézinet. Très vite, la totalité du bâtiment est entre les mains des légionnaires et ses occupants sont mis dans l'impossibilité de communiquer avec l'extérieur150. Sous l'impulsion du colonel Godard, l'état-major du Corps d'armée se remet « en route » : il se trouve que beaucoup d'officiers lui ont donné leur accord pour assurer la continuité de leur service151.
Mais le « mouvement » s'essouffle très vite et le putsch « s’installe » dans une sorte de flottement ou plutôt dans l’état instable qu’est l’insurrection, comme s'il pouvait se suffire à lui-même, sans prolongement politique, s'exposant à la réaction violente du général de Gaulle qui ne tardera à venir152,153. Les généraux putschistes se gardent ainsi de proclamer qu’ils incarnent le gouvernement provisoire de la France et de prendre des mesures de gouvernement. Dès le 22 avril, Pierre Sergent doute d'ailleurs de la réussite de ce putsch. Il ne comprend pas le comportement du général Challe qui, au lieu de conserver l'initiative et profiter du temps d'hésitation marqué par le général de Gaulle, passe de précieuses heures au téléphone à essayer d'obtenir des ralliements154 et rejette vigoureusement la demande de participation au mouvement exprimée par une délégation de civils, se coupant ainsi du soutien de la population155,156. Il reconnaît par contre un véritable chef en la personne du général Zeller lorsque celui-ci, coup sur coup, fait preuve de fermeté vis-à-vis des commandants des deux corps d’armée excentriques157,158.
Dans la matinée du mardi 25 avril, au quartier Rignot, siège du commandant en chef des forces armées en Algérie et de l'État-major interarmées (E.M.I.), Pierre Sergent est convoqué par le général Zeller qui lui apprend que le général Challe a décidé de se rendre et lui demande si ses camarades et lui sont décidés à continuer. Bien que cette nouvelle le rende groggy tel un boxeur, sa détermination demeure intacte : « Mon général, j'ai traversé la mer sans esprit de retour. Il n'est pas question de revenir en arrière. Vous pouvez compter sur moi et sur mes camarades. Nous irons jusqu'au bout. »159 Au cours de cette journée, tout s'effondre très vite, en particulier dans les départements d'Oran mais aussi de Constantine où le général Gouraud publie à 14 heures un communiqué annonçant sa fidélité au gouvernement160. À 16 heures, Pierre Sergent propose à Jean-Jacques Susini, qui se rend avec le général Salan161 dans le bureau du général Challe pour décider de la suite à donner au mouvement, que le général Salan reprenne l' « affaire » à son compte160. Rien ne sert à gagner du temps - ce à quoi s'est employé Jean-Jacques Susini auprès du général Challe - car l'intention de reddition du « chef » a immédiatement traversé les murs du quartier Rignot et s'est répandu dans les unités162. Vers 21 heures, Pierre Sergent tente en vain un dernier geste en rédigeant et enregistrant un appel à ses camarades de l'armée dans lequel il les adjure de prendre leurs responsabilités sans tenir compte de la hiérarchie. Ce cri dans le désert sera l'avant-dernier message diffusé par Radio-France163,164. À minuit et demi, une dernière réunion se tient entre les principaux artisans du putsch dans le salon du Gouvernement général. Sont réunis les quatre généraux, le colonel Godard, le commandant de Saint-Marc et des officiers du 1er R.E.P. dont Pierre Sergent. En tant que responsable du 1er R.E.P., le commandant de Saint-Marc prend la décision de se présenter aux autorités. Pierre Sergent, qui n’a jamais songé à se rendre, Roger Degueldre et Daniel Godot poursuivent la lutte. Le 26 avril, après s'être vêtus d'effet civils, Pierre Sergent et Daniel Godot quittent le Gouvernement général devant lequel sont alignés les camions du régiment, moteurs en route, prêts à prendre la direction de Zéralda, emportant le général Challe et l'uniforme du capitaine commandant la 1re compagnie. Les deux hommes disparaissent dans la foule165. Ils passent la fin de cette nuit mouvementée dans un petit appartement désert d'Alger166
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La recrudescence des attentats à l'explosif commis par des groupuscules se réclamant de l'O.A.S. est une difficulté à laquelle il est confronté à partir de l'automne. Pour marquer les esprits au sein de l'opinion et prouver aux « enragés du plastic » qu'il est possible de monter des opérations plus sérieuses ayant des retombées bien plus bénéfiques pour la cause de l'O.A.S., il multiplie les actes de grande portée psychologique : il organise, le 25 septembre, l'évasion de deux condamnés du complot de Paris, le colonel Roland Vaudrey et le capitaine Philippe de Saint-Rémy200 ; le 24 novembre, il accorde une interview à une journaliste suédoise dans une petite maison maquillée pour l'occasion en véritable P.C. de campagne201 ; le 14 décembre, le lieutenant Roger Bernard du 43e régiment d'infanterie (43e R.I.), camarade de promotion du lieutenant Godot, rejoint l'Organisation avec toutes les armes de sa section202,203.
Le 29 décembre 1961, Pierre Sergent confie la branche Organisation Renseignement-Opérations (O.R.O.) au capitaine Jean-Marie Curutchet204. Nommé capitaine le 1er juillet 1961, Jean-Marie Curutchet avait été affecté au 11e bataillon de chasseurs alpins (11e B.C.A.), à Barcelonnette, par mesure disciplinaire s'ajoutant aux trente jours d'arrêt de forteresse qui lui avaient été infligés à la suite de son attitude pendant les évènements d'avril 1961. À la tête de l'O.R.O., le capitaine Curutchet succède au colonel Buchoud à ce poste de juin à décembre 1961 et dont Pierre Sergent est mécontent205. Le nouveau chef de l'O.R.O. actionne une série de commandos qui se sont aguerris progressivement et dispose de moyens matériels sérieux. Avec la complicité de la police parisienne qui lui fournit des renseignements de premier ordre, le capitaine Curutchet organise l'attaque de plusieurs repaires du F.L.N. Les constats d'attentats ne mettent pas systématiquement en cause l'O.A.S., certains commissaires parlant d'ailleurs de règlements de compte entre le Mouvement national algérien (M.N.A.) et le F.L.N206 Avec le capitaine Curutchet, Pierre Sergent prépare minutieusement l'affrontement contre le pouvoir, selon une tactique fondée sur les grands principes révolutionnaires. Ils dressent à cet effet des plans très ambitieux qui prennent les noms de « Coup de poing » et « Paso-doble ». Le premier vise à contrôler les points sensibles de commandement, civils et militaires, en métropole. Le second consiste à paralyser le pouvoir sans se dévoiler, au cas où l'insurrection serait déclenchée en Algérie avant que la métropole ne soit complètement prête207. Néanmoins, le 21 mars 1962, Pierre Sergent tempérera son optimisme en informant le général Salan qu'en cas de déclenchement de l'insurrection en Algérie, la « métropole » sera en mesure de ne générer que deux ou trois maquis, dont un qui serait directement placé sous son commandement208,209,210. Des armes et du ravitaillement sont en place dans des caches connues des seuls responsables locaux, et Pierre Sergent a obtenu le concours d'éléments militaires assez nombreux pour garantir la survie de ces maquis pendant plusieurs semaines, leur permettant ainsi de « fixer » en métropole des moyens militaires importants qui ne pourraient donc pas être envoyés en Algérie pour réduire l'insurrection211.
Dans le courant du mois de décembre 1961, l'autorité du Délégué général en métropole mais aussi celle de Pierre Sergent, en tant que chef d'état-major de l'O.A.S./métropole, sont contestées par André Canal, dit « Le Monocle ». Celui-ci revendique l'autorité tout entière de l'O.A.S. en métropole et laisse entendre dans tous ses contacts qu'il ne connaît pas la Délégation générale et qu'il ne veut pas la connaître. À l'occasion de leur rencontre, l'homme soumet à la lecture de Pierre Sergent un accréditif de poids : une lettre signée du général Salan, en date du 2 décembre 1961, dans laquelle le chef suprême de l'O.A.S. désigne André Canal pour coordonner, au titre de la mission « France III », tous les réseaux existants en métropole sous le titre de l'O.A.S212 Regrettant sans doute l'envoi prématuré d'André Canal, le général Salan revoit sa position dans l'Instruction no 17 qu'il adresse à l'O.A.S./métropole le 28 décembre : il donne tous pouvoirs au Délégué général pour « prendre les décisions qu'il jugera nécessaires pour arriver à la totale et définitive intégration de tous les groupes et toutes les individualités »213. Pierre Sergent revoit une nouvelle fois André Canal pour lui faire part des ordres d'intégration de la mission « France III » à l'O.A.S./métropole. Malgré l'accord du « Monocle » d'être hiérarchiquement subordonné au capitaine Curutchet214, chef de l'O.R.O., rien n'y fait : dans la nuit du 17 au 18 janvier 1962, dix-huit explosions de plastic touchent presque à la même heure tous les quartiers de la capitale215.
Au début de l'année 1962, l'O.A.S. lance une offensive contre le Parti communiste français (P.C.F.). Cette offensive a deux objectifs. L'un est stratégique : en attaquant directement le communisme, l'O.A.S. attaque l'allié le plus puissant du F.L.N. Le second objectif est tactique : il s'agit de mettre le pouvoir gaulliste dans une position délicate, en l'obligeant à choisir soit de tolérer les réactions du P.C.F. à l'offensive de l'O.A.S. et d'apparaître comme son complice, soit de s'opposer à lui au risque de se couper de la gauche216. Le jeudi 4 janvier 1962, l'O.A.S. frappe au cœur du P.C.F. : la façade du siège du Parti, située place Kossuth, en plein centre de Paris, est mitraillée par un commando ; un militant communiste est abattu d'une rafale de P.M. alors qu'il ripostait depuis une fenêtre du second étage. La manifestation anti-O.A.S. du samedi 6 janvier 1962 est perçue par Pierre Sergent comme un échec partiel pour le P.C.F. : la S.F.I.O. - pourtant conviée - et les centrales syndicales refusent de s'associer au mouvement ; pas plus de 20.000 manifestants ne descendent dans la rue ce jour-là. Il considère d'une importance considérable sur le plan politique ce refus des formations de gauche non communiste d'afficher leur solidarité avec le P.C.F. Son objectif est de parvenir, par des actions strictement limitées au P.C.F., à couper en deux la gauche. L'apogée de cette offensive contre le P.C.F. est marquée par la manifestation anti-O.A.S. du 8 février 1962. Cette manifestation, interdite par Maurice Papon, préfet de police de Paris, donne lieu à des affrontements violents entre les manifestants et les forces de l'ordre. Huit personnes trouvent la mort écrasées contre les grilles fermées de la station de métro Charonne. Le général de Gaulle voit son prestige affaibli et se trouve dans une position très inconfortable, privé du soutien des forces de gauche qu'il vient de mettre contre lui217.
Le 21 janvier 1962, Pierre Sergent affecte deux jeunes officiers à l'A.P.P. : les lieutenants Nicolas Kayanakis et Jean Caunes, évadés de la prison de Mont-de-Marsan le 2 décembre 1961. Connaissant bien le milieu étudiant, Nicolas Kayanakis218 organise en quelques semaines l'O.A.S./Métro/Jeunes dont les réseaux regroupent fin février plus de quatre cents étudiants et lycéens. Fort de ce premier résultat positif, le 25 février 1962, Pierre Sergent lance un appel à tous les jeunes Français au nom de toutes ces provinces françaises « sous-développées, sous-alimentées, sous instruites » qui ont besoin d'eux219.
En mars 1962, les évènements s'accélèrent avec la signature des accords d'Évian le 18, qui se traduisent par un cessez-le-feu applicable sur tout le territoire algérien dès le lendemain. À Alger, l'état-major de l'O.A.S. décide de créer un organisme politique, le Conseil national de la Résistance française en Algérie (C.N.R.F.A.), qui confie au général Salan la mission de constituer un gouvernement provisoire. Celui-ci prend le nom de Commission de Gouvernement et de Défense nationale (C.G.D.N.). Le 30 mars, le général Salan institue en métropole un Conseil national de la Résistance (C.N.R.), organe politique qui reçoit, par délégation de la C.G.D.N., mission d'organiser l'action de la résistance en métropole220. La présidence du C.N.R. échoie à Georges Bidault que le général Salan désigne également comme son successeur à la tête de l'O.A.S., le 1er avril 1962, à la suite de l'arrestation du général Jouhaud le 25 mars221,222.
Alors qu'en Algérie, les mois de mars et avril sont marqués par d'importantes arrestations - le général Jouhaud, chef de l'O.A.S. en Oranie, le 25 mars, le lieutenant Roger Degueldre, chef des commandos Delta, le 7 avril, le général Salan le 20 avril -, à la même époque, de rudes coups sont portés par la police à l'O.A.S./métropole, rendant la situation définitivement irréversible : l'adjudant Marc Robin, que Pierre Sergent considère comme le meilleur de ses chefs de commando, est arrêté par la D.S.T. le 23 mars à la suite de la trahison de l'un de ses camarades ; le 7 avril, c'est au tour du lieutenant René Coatalem, l'un des meilleurs amis du lieutenant Degueldre, d'être arrêté223 ; le 9 avril, le lieutenant Daniel Godot, adjoint de Pierre Sergent, tombe dans une souricière tendue par la police224. À partir de cet instant, Pierre Sergent sait qu'il est le prochain sur la liste. Il sent l'étau se resserrer. Certains jours, son bureau de renseignements lui transmet trois ou quatre messages l'informant de dangers imminents225.
L'arrestation du général Salan précipite d'autant plus vite la division de l'Organisation que Georges Bidault, entré dans la clandestinité depuis le 9 avril, demeure injoignable. Le 27 avril 1962, en plein accord avec le Délégué général pour la métropole226, Pierre Sergent gagne la Belgique où se trouve le colonel Argoud qu'il rencontre le lendemain à Bruxelles. Ce dernier revendique le commandement de l'O.A.S./métropole. Pierre Sergent et le sénateur Claude Dumont227 s'emploient à défendre la Délégation générale en métropole, faisant valoir qu'un tel changement dans le commandement ne peut être incontesté que si le Délégué général en valide le principe228,229. Sur insistance de Claude Dumont, Pierre Sergent gagne Rome pour y rencontrer Jacques Soustelle alors en exil230. Ils sont bientôt rejoints par le colonel Argoud puis Georges Bidault. Les quatre hommes se réunissent quasi quotidiennement pour déterminer la compétence du C.N.R., définir sa composition et donner les premières directives. Répondant à l'appel de Pierre Sergent, le Délégué général adjoint231 de l'O.A.S./métropole participe aux débats et accepte que le colonel Argoud prenne le commandement des opérations sur le territoire métropolitain à condition que Pierre Sergent conserve son poste de chef d'état-major. L'objectif est d'amener au pouvoir un gouvernement de salut public composé des représentants de toutes les familles politiques favorables à l'Algérie française. La conférence de Rome s'achève le 20 mai 1962 par la création du Comité Exécutif du C.N.R. Le Comité Exécutif est chargé de la conduite générale de la guerre. Les membres du Comité Exécutif sont Georges Bidault qui en est le président, Jacques Soustelle qui a la charge des relations extérieures, Antoine Argoud et Pierre Sergent. Cette conférence voit également la nomination du colonel Argoud au commandement de l'O.A.S./métropole et la confirmation de Pierre Sergent à la fonction de chef d'état-major232. L'installation du Comité Exécutif du C.N.R. à l'extérieur et la présence en son sein de Jacques Soustelle, qui fut un proche et un ancien ministre du général de Gaulle dont il œuvra pour le retour en 1958, suscite chez une poignée de personnes appartenant à l'O.A.S./métropole une farouche opposition aux décisions prises par le Comité Exécutif, allant jusqu'à la mise en place d'un organisme parallèle, le Conseil national de la Résistance intérieure (C.N.R.I.)233.
Sur le plan de l'action, suivant les ordres confirmés par Pierre Sergent, les commandos de l'O.R.O. multiplient leurs actions : ils attaquent les permanences du P.C.F., notamment celles de Paris, Neuilly, Montreuil-sous-Bois, Saint-Denis ; ils font sauter des repaires du F.L.N. à Paris234, Saint-Ouen, Aubervilliers, Issy-les-Moulineaux, Aulnay-sous-Bois, au Bourget ; ils châtient Jean-Luc Van Cauwenberghe pour trahison. À l'issue d'une réunion tenue à Keerbergen le 13 juin 1962, l'A.P.P. est chargée de conduire des projets ambitieux au travers de quatre publications : conçu et réalisé directement par le Comité Exécutif, le « Bulletin d'information » du C.N.R. est diffusé à toute la presse nationale et internationale ; le journal bimensuel Appel de la France sera rédigé en commun par l'équipe parisienne et Jean Brune, désigné par le Comité Exécutif comme le chef de l'A.P.P. du C.N.R. ; des lettres, traitant un certain nombre de problèmes, tels que l'Algérie et le communisme, sont destinées à éclairer des catégories de citoyens comme la jeunesse, les militaires, les paysans, les industriels ; la rédaction du bulletin Presse-Service est poursuivie. Enfin, le directeur du quotidien belge La Dernière Heure ouvre, les 9 et 14 juin 1962, les colonnes de son journal au président Bidault et au colonel Argoud235.
Pierre Sergent est considéré comme déserteur à compter du 20 avril 1961.
Le 9 décembre 1961, Guy Courcol, juge d'instruction à Paris, décerne un mandat d'arrêt à son encontre pour attentat et complot contre l'autorité de l'État240.
Le 21 février 1962, le Tribunal militaire spécial le condamne à la peine de mort par contumace.
Pendant sept ans, il échappe aux recherches policières en se réfugiant en Suisse et en Belgique.
Il bénéficie de la loi d'amnistie no 68-697 du 31 juillet 1968 et regagne la France en octobre 1968241.