Premiers pas derrière le Rideau de Bambou
Le 17 septembre 1950; à l'âge de 23 ans, je servais
à la Légion Etrangère en qualité
de lieutenant chef de section au Premier Bataillon
Etranger de Parachutistes
(1er B.E.P.). Ce jour-là nous avons sauté à That Kh
ê, sur la RC4, dans le cadre de ce
qui devait devenir le premier désastre de l'histoir
e de la Guerre d'Indochine, à savoir
l'évacuation du poste de Cao Bang.
Je ne dirai rien sur l’histoire des combats, mainte
s fois décrite dans de
nombreux ouvrages. En ce qui me concerne, deux fois
blessé le 3 octobre sur le Na
Khéo près de Dong Khé, j’ai participé ensuite aux c
ombats de Côc Xa qui virent
L’anéantissement du 1
er
B.E.P. A partir du 7 octobre, après la dispersion
des unités,
j’ai marché dans la jungle sans soins et sans nourr
iture jusqu’à That Khé que j’ai
atteint le 12 au soir pour voir ce poste français o
ccupé par les Vietminh. Il avait été
évacué le 10. Je me suis caché dans des buissons av
ec l'intention de repartir le
lendemain matin. Sans doute aperçu par des paysans
, j'ai été capturé par des bo-dois
(nom des soldats en vietnamien), peu après le lever
du jour.
Les bodois m’ont emmené courtoisement vers une peti
te maison de paysan où se
trouvait leur officier. J’avais mes vêtements déchi
rés et un essaim de mouches avait
élu domicile sur ma cuisse droite blessée. J’ai ét
é accueilli par un jeune homme de
mon âge qui m’a dit dans un français sans accent :
« tu as un grade, toi ? » Je lui ai
répondu que j’étais lieutenant chef de section. Il
m’a dit : « moi aussi. Il y a
longtemps que tu n’as pas « bouffé ? » Sur ma répon
se affirmative il m’a dit : « viens,
tu vas bouffer avec nous ». Nous nous sommes assis
tous les deux sur le lit bas de
l’unique pièce de cette masure et ses hommes nous
ont servi un menu que je n’ai
jamais oublié, du riz et une soupe de potiron. Nous
avons parlé métier. Ensuite nous
nous sommes séparés, lui poursuivant la guerre et m
oi franchissant le rideau de
bambou pour quatre ans de captivité. Quand je racon
te cette rencontre et son
atmosphère cordiale, je dis toujours que si ce jeun
e officier vietminh avait été un
camarade de promotion rencontré par hasard lors d’
une opération, notre relation
n’aurait pas été différente. Nous avions le même âg
e, la même langue, le même grade
et la même fonction. Seule l’Histoire nous séparait
...et nous dépassait... A
l’infirmerie, sise dans l’école du village, où mon
hôte m’avait fait conduire après le
repas, j’ai retrouvé quelques officiers blessés don
t le lieutenant Faulques, grièvement
atteint, et qui devait être rapatrié sanitaire par
avion quelques jours plus tard. Pendant
ce séjour nous avons eu de nombreuses visites d’of
ficiers vietminh, manifestement
heureux de parler français. Tous sortaient des étab
lissements d’enseignement
français.
Je me souviens de l’un deux, sympathique médecin, q
ui m’a dit qu’un jour, dans une
réunion d’étudiants, une jeune Française de ses con
disciples lui avait donné un coup
d’éventail. On connaît l’importance des coups d’éve
ntail dans l’Histoire. Cette
anecdote illustre ce que tous évoquaient, à savoir
le peu de considération avec