retrouver un équilibre, un chez soi.
Blessé, abîmé par les épreuves de la vie. André a vu sa vie basculer, après un divorce. Et a sombré, lentement. Une vie écorchée, sans repères, le Lensois de naissance dort depuis plusieurs mois dehors, à Blériot. Une impasse dont il peine à trouver la sortie, englouti dans la solitude et l’isolement
Assis sur une bordure de béton, sur la route principale à Blériot. Les mains jointes, ou la clope au bec, André Bonvoisins laisse passer la journée. En espérant des jours meilleurs, pas à la rue. Ce coin de bordure, entre la Poste et la boucherie, est devenu son coin depuis qu’il vit dehors. André, un homme au regard bleu avant tout. Mais un homme désormais sans domicile, après une accumulation de galères privées. Sous ses jambes, un sac de vêtements. A sa droite, une sous-tasse pour récupérer quelques pièces.
« J’étais parachutiste dans
la légion pendant 14 ans »
André ne se plaint pas, il prend la vie au jour le jour. Un triste quotidien. Cette dégringolade, il peine à l’expliquer. C’est arrivé «
d’un seul coup » soupire-t-il, sans réussir à comprendre comment ça a pu se passer. «
J’habitais Calais, près du cimetière Sud. Je ne sais pas… Mon propriétaire m’a laissé huit jours pour débarrasser mes affaires… » Puis il est parti «
quelques jours à l’hôtel » et ensuite «
dans le bois. Il faisait encore bon… » Petit à petit il se marginalise.
Originaire de Lens, le quinquagénaire, qui approche doucement de la soixantaine, est «
pensionné de l’armée ; j’étais parachutiste dans la légion ». Des années à se faire larguer au-dessus du Tchad, du Liban. «
J’ai fait quatre fois l’Afrique ! », raconte celui qui se laisse chuter et partait sur les conflits, avec «
un (parachute) ventral qu’il fallait ouvrir ». Une vie comme tout le monde, inséré dans la société.
Et puis la vie s’est acharnée. Après l’armée, il devient pizzaiolo. Marié, «
quatre enfants », ajoute l’homme. Un bout de vie près de Bruay, puis à Calais. Un divorce, suivi d’une perte d’emploi en 1995. La chute commence. «
Je n’ai jamais retrouvé de travail… » Son divorce l’a bien mis à terre. Le reste n’a pas aidé. «
Après le divorce, je suis tombé malade, j’ai fait une dépression. » Vivre seul, «
c’est dur ». Il ne voit pas grandir ses enfants. Il accumule les dettes, se retrouve «
sous curatelle », confie-t-il. Des années passées avec un mode de vie difficile, il ne sait plus où ça en est. «
Je voudrais qu’on me la retire ! Elle m’a même coupé mon compte alors que j’ai de l’argent… », assure-t-il, sans savoir expliquer pourquoi, sans donner de précisions.
Quelles démarches entreprendre pour sortir de cette spirale ? Qui allez voir ? Comment s’en sortir ? «
Je ne sais plus où j’en suis, je suis perdu… » Alors il s’accroche, chaque jour, à ses petites habitudes. Il vit au jour le jour, en prenant les galères une à une. Vivre à la rue, c’est aussi ne pas savoir comment se laver, se raser, se passer les mains sous un point d’eau. Tout devient relativement complexe, et si nécessaire pourtant. Il aspire à retrouver des repères, avoir «
un petit studio meublé ». Un chez lui pour se poser et regarder devant avec plus de sérenité.
A Blériot, il a trouvé un petit cocon calme, mais dehors. La solidariré se crée autour du quinquagénaire. «
Le soir, les voisins me donnent à manger. Ils ne me laissent pas tout seul… » Le matin, un café, parfois un passant lui offre un sandwich. «
Hier soir, un copain m’a ramené des vêtements ! » Aux alentours, tous sont habitués à le voir, connaissent un bout de son parcours parfois.
Les foyers, non merci
Les foyers d’accueil ? Non merci. André refuse catégoriquement. «
Je suis déjà allé au Toit, mais il y a les vols etc. Je préfère ici. » Ici, à Blériot, c’est la bordure de route la journée, le pas-de-porte de l’église la nuit, à guetter que personne ne lui cherche d’embrouilles, livré au froid, avec sa solitude. «
On va peut-être me prêter un chalet pour l‘hiver », indiquait l’homme avant l’arrivée de l’hiver. Le pas-de-porte de l’église, il y a passé des semaines. Maintenant, «
il dort dans un chalet », confirme une commeçante. Le bord de la route, il y revient régulièrement. Mais quand les températures sont trop froides, il reste dans son chalet.
Père de quatre enfants, il garde sa pudeur et confie ne plus les voir et ne rien leur avoir dit. «
Heureusement qu’ils ne savent pas ! Ils ont fait leur vie. Je ne voudrais pas qu’ils voient ça… »
Vivre dehors, seul, dans une ignorance permanante. Cette détresse reste figée dans son regard bleu qui en dit long. Un bonjour, un regard, un petit mot : c’est au final peu. Pour André, ça le rattache à l’autre, lui apporte un petit quelque chose d’humain dans un quotidien devenu sombre. Devant un café, au PMU du coin, il concède facilement que le contact humain lui fait du bien. Rien de pire que l’ignorance quand on est déjà seul, dehors.
D. K.