Felix Kersten, né en 1898 en Estonie et mort en 1960 en Suède, est un masseur qui a soigné des membres de la famille royale de Hollande, ainsi que le nazi Heinrich Himmler. Pour ses services auprès du Reichsführer, il a, entre autres, obtenu l'annulation de la déportation de la population hollandaise en Pologne et la libération de milliers de prisonniers, leur sauvant ainsi la vie. Il a sauvé des milliers de Juifs des camps de concentration.
Jeunesse
Né en Estonie, il devient citoyen finlandais après la Première Guerre mondiale. Il fait des études de massage à Helsinki, dans un hôpital où œuvrait le Dr Kollander, un spécialiste réputé d’alors. Ce dernier le remarque et le prend sous son aile. S'ensuit deux années intensives d’études, couronnées par un diplôme en 1921. Kersten souhaite améliorer sa technique et se rend à Berlin. Il y fait la connaissance d’un Tibétain, le Dr Kô, qui l’initie et le forme à une technique de massage thérapeutique extrêmement puissante entre 1922 et 1924. En 1925, après avoir passé tous ses moments de liberté auprès du Dr Kô, ce dernier lui annonce que Kersten sait tout ce qu’il sait et qu’il retourne chez lui, au Tibet. Le nouveau diplômé hérite de la clientèle du médecin tibétain et sa situation financière devient florissante.
Après quelques années de pratique, la réputation de Kersten dépasse les frontières allemandes. En 1928, il soigne le prince Henri de la famille royale de Hollande. Découvrant un agréable pays selon ses dires, il déménage à La Haye. Quelques années plus tard, il se marie, a un enfant et exerce tant à La Haye, qu’à Berlin et à Rome.
Himmler
Quelques mois après l’Anschluss, en mars 1939, Heinrich Himmler le mande en tant que soignant. Kersten refuse de s'occuper d’un nazi, mais l’un de ses amis et patients, l'industriel allemand August Diehn, lui demande de soigner le Reichsführer à titre de faveur personnelle. Kersten s'incline et soigne Himmler. C’est le début d’une relation patient-médecin entre Himmler et Kersten et d’une autre, mortelle, entre Kersten et la Gestapo.
À la première rencontre, Kersten apprend qu’une douleur insupportable taraude le Reichsführer, douleur que même la morphine ne peut éteindre. Après une exploration du patient à l’aide de sa technique particulière, Kersten détermine qu’Himmler souffre de crampes du système nerveux sympathique. Après le massage d’un centre nerveux précis, qui met le nazi au supplice, Himmler se relève et se sent léger pour la première fois depuis longtemps. S'ensuit une série de massages qui rendent à Himmler et sa santé physique et son zèle sans limite envers le Führer.
En octobre 1939, Kersten est dans une situation délicate. En effet, Hitler s'est emparé de la Tchécoslovaquie et de la Pologne, amenant une déclaration de guerre de la part de la France et de l’Angleterre. Étant citoyen et officier de réserve finlandais, il est fort possible qu’il soit bientôt appelé sous les drapeaux pour combattre. Il demande conseil à l’ambassade de Finlande et reçoit comme conseil de continuer à soigner Himmler, tout en rapportant ses propos aux autorités finlandaises.
En mai 1940, sa situation est devenue nettement plus complexe. L’Estonie est annexée à l’URSS. Ayant combattu les Soviétiques, il y est donc passible de la peine de mort. En Hollande, les nazis lui en veulent, car il soigne la famille de la reine Wilhelmine. La Finlande lui ferme ses portes, car elle lui demande d’espionner Himmler. Finalement, en Allemagne, il est assigné à demeure ou doit accompagner le Reichsführer à bord d’un train spécial qui se déplace vers le front français.
Premières vies sauvées
En août 1940, le contremaître d’un ami et industriel allemand (le magnat de la potasse August Rosterg) est arrêté par les SS, car faisant partie d’un parti social-démocrate. Après avoir soigné une crise particulièrement aiguë d’Himmler, le médecin profite de son immense reconnaissance pour demander la libération du contremaître. Himmler accède à son désir. À partir de ce moment, profitant de la maladie de Himmler, Kersten fait libérer des milliers de prisonniers des camps de concentration nazis. Plus tard, lors d’une visite en Hollande, il se confronte à Hanns Albin Rauter[1], le chef de la Gestapo aux Pays-Bas, pour qu’il libère l’un de ses amis. Rauter s'incline sur l'ordre de Himmler.
Il y a une limite à l’influence de Kersten. Alors, il entreprend de flatter Himmler, le rendant l’égal des légendes allemandes, tel Frédéric Ier. Ce désir d’être flatté est suffisamment fort pour que Himmler signe des ordres d’élargissement qui sauvent des centaines de personnes.
Cependant, l’influence que Kersten a sur Himmler, qui rêve d’hégémonie, n’est pas vue sans intérêt par d’autres puissants du régime. Dans sa lutte pour la survie, Kersten peut compter sur Rudolf Brandt, secrétaire particulier de Himmler. Engagé comme secrétaire à cause de son érudition et de sa discrétion, il fournit régulièrement une aide précieuse au masseur, lequel est ballotté par les immenses forces du Troisième Reich, Gestapo en tête. Le brillant et redouté Walter Schellenberg, âme damnée de Himmler, ainsi que le général SS Gottlob Berger, militaire sévère qui a horreur des atrocités perpétrées, prennent aussi son parti contre le redoutable Reinhard Heydrich et son remplaçant, Ernst Kaltenbrunner.
En janvier 1941, il reçoit la visite de deux gestapistes lui rappelant qu’un médecin allemand ne peut soigner des Juifs. Kersten leur démontre qu’il est Finlandais, donc cet interdit ne peut s'appliquer à lui. Lorsqu’il mentionne cet « incident » à Himmler, ce dernier tance vertement Heydrich, lui rappelant que Kersten est sous sa responsabilité.
Un peuple est sauvé
Le 1er mars 1941, il apprend par hasard l’un des plans du Führer : déporter 3 millions de Hollandais, tous de descendance germanique aux dires d’Hitler. Selon lui, ils sont des traîtres à la cause du Troisième Reich. En conséquence, ils seraient expédiés par train et par bateau vers la province de Lublin en Pologne, leurs femmes et leurs enfants faisant aussi partie du voyage. Kersten se rend compte que déplacer une telle masse de gens se ferait dans des conditions inimaginables. Entassés comme des bestiaux dans des trains, ils auraient faim et soif, et vivraient dans leurs déjections. Des dizaines de milliers de personnes mourraient pendant ce déplacement massif. Après maints efforts, défendant l’idée que Himmler ne peut décupler les effectifs de la SS (une autre mission confiée par Hitler) et coordonner le transport d’autant de personnes, Kersten dissuade le chef des SS de mettre en place un tel plan, prétextant qu’il serait complètement exténué après un tel effort.
Le 1er août 1944, Schellenberg l’avertit par coursier que Kaltenbrunner a préparé un attentat contre lui. Rendu sain et sauf auprès du Reichsführer, il lui montre la note rédigée par Schellenberg. Himmler découvre que c’est la vérité et avertit Kaltenbrunner que sa vie dépend de celle du docteur. Cet incident augmente la valeur de Kersten aux yeux d’Himmler, car il était le seul à pouvoir le soigner.
En décembre 1944, un conjuré qui avait participé à un complot visant Hitler est pendu, malgré la promesse solennelle de Himmler de l’épargner. Furieux, Kersten rappelle à Himmler qu’il avait promis. Suite à cette confrontation et après un échange avec Brandt, il se rend compte que Hitler a ordonné et que Himmler a obéi. Il retourne auprès de Himmler et obtient la libération de 50 étudiants norvégiens, de 50 policiers danois et de 3 000 femmes hollandaises, françaises, belges et polonaises. C’était mémorable, mais il voulait plus. Il se trouvait que la Suisse était prête à accueillir 20 000 internés juifs. Himmler refuse, mais estime que 3 000 est plus raisonnable. Deux mois plus tard, une cohorte de 2 700 Juifs est promise aux chambres à gaz. Himmler y voit un signe du destin et fait dérouter le train vers la Suisse.
La fin de la guerre
En 1945, l’étau allié se resserre sur l’Allemagne. Himmler sait qu’elle ne peut gagner la guerre. Cela fait plusieurs mois qu’il tente de négocier la reddition avec les Alliés, mais en vain. Dans un but de « nettoyage » ethnique, Hitler a ordonné de faire sauter les camps de concentration si une armée ennemie s'en approche à moins de 8 kilomètres. Beaucoup parmi les 800 000 internés y trouveraient la mort. Les Suédois demandent à Kersten d’intervenir pour les sauver.
Après d’âpres négociations, Himmler étant encore dévoué au Führer malgré sa folie évidente, ils signent le 12 mars 1945 un extraordinaire document intitulé Contrat au nom de l’humanité. Celui-ci contient en essence:
1. Les camps de concentration ne seront pas dynamités.
2. Le drapeau blanc flottera à l’entrée de ceux-ci.
3. On n’exécutera plus un seul Juif.
4. La Suède pourra envoyer des colis individuels aux prisonniers juifs.
En signe de paix, Himmler fait libérer 5 000 Juifs supplémentaires et souhaite rencontrer un membre du Congrès juif mondial. Lorsque le contact suédois de Kersten apprend cela, il ne peut le croire. L’ennemi juré des Juifs acceptait de négocier avec eux. Norbert Masur est l’envoyé pour cette réunion qui se tient à Hartzwalde, résidence de Kersten. Après de longues négociations, Masur obtient que les Juifs ne soient plus molestés par les Allemands sous les ordres de Himmler.
Après la guerre
Lors des procès de Nuremberg, Brandt est accusé d’avoir signé tous les ordres meurtriers issus de Himmler. Kersten tente de le défendre, allant jusqu’à envoyer une lettre au président des États-Unis d’alors, Harry Truman, mais en vain. Rudolf Brandt est pendu.
Felix Kersten s'installe en Suède après la guerre, et connaît quelques défaveurs pour avoir entretenu des relations avec l’un des pires assassins nazis. Des Hollandais sauvés par lui intercèdent en sa faveur, et font mettre sur pied une commission d’enquête spéciale. En 1949, après avoir entendu des dizaines de témoins et compulsé des milliers de documents, elle démontre que Kersten a sauvé des milliers de vies. Il est décoré par les Pays-Bas, qui le proposent à plusieurs reprises pour le prix Nobel de la paix, qu’il n’obtint jamais. En 1953, il est naturalisé suédois et le ministère suédois des affaires étrangères reconnaît ses gestes qui ont sauvé de la mort des milliers de personnes. La France le décore de la Légion d'honneur. L’historien Hugh Trevor-Roper a aussi défendu la cause de ce masseur devenu sauveur.
Après avoir œuvré dans différents pays, Allemagne, Suède, Pays-Bas et France, il est mort d’une crise cardiaque le 16 avril 1960.